بسم الله الرحمن الرحيم
و الصلاة و السلام على أشرف المرسلين

و على اله و اصحابه أجمعين

Ayâ ayyuhâ l’Ushhâq

Traduction et annotation des vers du poème « Ayâ ayyuhâ l’Ushhâq » de sidi Ahmad al-‘Alawiy, selon les explications recueillies de la bouche de sidi Muhammad Fawzi al-Karkariy (radiAllâhu ‘anhumâ).

Partie 1
Ces vers s’adressent aux assoiffés

Ô ‘ushhâq qui aviez désiré le plus haut maqâm (la présence divine) /// donnez-nous un pacte afin d’y parvenir et considérez moi comme quelqu’un d’arrivé

’Ushhâq vient de ‘ishq, qui en arabe désigne un degré d’Amour (Hubb)… Le Sheykh dirige donc son poème aux gens qui éprouvent ce ‘ushq, cet Amour intense, cette soif spirituelle…

Le temps permettant de parvenir à ce qu’il y a de plus haut est venu /// Al-HamduliLlâh, Lui qui nous a permis d’être des gens de ce maqâm.

Ce temps ne vient qu’une seule fois par siècle, comme le mentionne le Hadîth suivant :
« Allâh suscite au début de chaque siècle quelqu’un qui revivifie le dîn de cette oumma ». Ce hadîth nous informe donc que tous les 100 ans Allâh suscite le khatm qui revivifie le dîn.

Avant d’être créés nous avons été appelés /// et lorsque nous sommes apparus dans ce bas monde nous avons de nouveau entendu cet appel

Allâh (subhânahu wa ta’âla) dit : « Et quand ton Seigneur tira une descendance des reins des fils d’Adam et les fit témoigner sur eux-mêmes : « Ne suis-Je pas votre Seigneur? » Ils répondirent : « Mais si, nous en témoignons… » » [sourate al-A’râf, verset]

Comme l’a dit notre Sheykh, sayidunâ Muhammad Fawzi al-Karkariy (radiAllâhu ‘anhu), ce verset traite de l’engagement pris par les fils d’Adam (‘alayhi s-salâm) avant la création. Chaque être humain entendit alors sans oreille la parole d’Allâh ta’âla : « alastu birabbikum ? /Ne suis-Je pas votre Seigneur ? » et répondit sans langue : « Balâ, chahidnâ / Mais si, nous en témoignons… ».

Sa proximité (qurb) nous confère d’être les rois de la terre /// et dans Son Amour nous avons sacrifié nos propres nafs ainsi que nos familles

« nous » désigne ici la silsila (chaîne) des grands Shouyoûkh et Saints desquels sidi Ahmad al-‘Alawiy a reçu cet héritage unique (la connaissance d’Allâh)

nous étions dans la Lumière du Soleil, et les autres dans les ténèbres /// et nous sommes dotés d’une puissante basîra, partout où Il Se manifeste


Dans un Hadîth connu, le Prophète (sallAllâhu ‘alayhi wa sallam) a dit: « Je vous ai laissé sur la voie blanche, dont la nuit ne diffère pas du jour et dont nul ne s’éloignera sans périr »[rapporté par l’Imâm Ahmad] La voie blanche (al-mahajjat ul-bayda’) renvoie bien à une notion de Lumière… et pour le ‘arif bi-Llâh (le connaissant par Allâh), la nuit équivaut au jour dans le sens où la Lumière qui l’accompagne ne le laisse pas un seul instant, et c’est en ce sens que l’on comprend les mots « Je vous ai laissé sur la voie blanche dont la nuit ne diffère pas du jour ». La basîra désigne la capacité d’appréhender avec l’œil du cœur ce que les yeux de la tête ne peuvent voir.

Nous avons de la Lumière de la Vérité Lumière sur Lumière /// Allâh guide à la Lumière du Waliy celui qui en est digne

Le Sheykh se réfère ici au verset suivant: « Allah est la Lumière des cieux et de la terre. Sa lumière est semblable à une niche où se trouve une lampe. La lampe est dans un (récipient de) cristal et celui-ci ressemble à un astre de grand éclat; son combustible vient d’un arbre béni : un olivier ni oriental ni occidental dont l’huile semble éclairer sans même que le feu la touche. Lumière sur lumière. Allah guide vers Sa lumière qui Il veut. Allah propose aux hommes des paraboles et Allah est Omniscient. » [sourate an-Noûr, verset 35]

Il veut donc dire qu’il lui a été attribué de la part d’Allâh une Lumière des cieux et de la terre, du Nom divin attribut (sifat) an-Noûr (la-Lumière)… et cette Lumière a grandit et s’est développé. « Allâh guide à la Lumière du waliy celui qui en est digne » : et la Lumière du waliy est une Lumière divine étant donné que le Nom « al-Waliy » est l’un des Noms d’Allâh. Et il est bien dit dans le verset précédent : « Allah guide vers Sa lumière qui Il veut »

et ne sois pas étonné de tout cela, alors que ceci existait déjà bien avant nous, /// une guidée vers le tahqîq dans les toutes premières communautés

Le tahqîq désigne ici la réalisation pour le musulman de la guidée. Cette guidée concerne donc dans un premier temps les cinq piliers connus de la religion musulmane et qui correspondent au maqâm (degré spirituel) de l’Islâm. La réalisation de la guidée (tahqîq ul-hidaya) se réfère à la vision de la Lumière qui permet au musulman d’accéder au maqâm supérieur : le maqâm de l’Imân. Les gens de ce maqâm sont également appelés, parmi les gens du tassawwuf : al-Khassa (l’élite). Au sujet de l’Imân, sayidunâ ibn ‘Abbâs (radiAllâhu ‘anhumâ) rapporte que le Prophète (sallAllâhu ‘alayhi wa sallam) a dit : « L’Imân est une Lumière que Allâh place dans le cœur de Son serviteur croyant, cette Lumière augmente et diminue en fonction de l’accomplissement d’œuvres pieuses ». Par la suite, les gens du maqâm de l’Imân peuvent éventuellement être amenés à accéder au maqâm supérieur, qui est celui de l’Ihsân. Ce maqâm est le maqâm marquant l’entrée dans la connaissance divine (ma’rifa), accompagné par la concrétisation du fana’, l’extinction de soi même et la réalisation de l’Unicité divine, ainsi que l’application de la parole de notre bien-aimé Prophète (sallAllâhu ‘alayhi wa sallam) : « an ta’bud Allâha ka-annaka tarâh / (l’Ihsân consiste) à adorer Allâh comme si tu Le voyais ». Les gens de ce maqâm sont également appelés, parmi les gens du tassawwuf : Khassat ul-Khassa (l’élite de l’élite).

Tous les gens avant nous furent rejetés pour ces mêmes paroles, /// …les jours passent et ils demeurent dans l’insouciance

Après la mort du Sheykh, il en apparaît un autre identique, /// c’est là une sunna d’Allâh qui persiste sans changement

si donc tu n’as pas atteint l’objectif ultime de son vivant, /// ce manquement peut être rattrapé après son départ

C’est-à-dire en la compagnie de son successeur.

remonte donc tes manches et lèves-toi vers cet effort, /// prends de lui (du Sheykh) des sciences peu chères, car il se peut qu’elles le deviennent

Sayidi Muhammad Fawzi (radiAllâhu ‘anhu), expliquant ce vers, dit énergiquement: « Arrête de dormir ! »

Ces sciences ne sont pas chères, non pas dans le sens où leur valeur est moindre, bien au contraire… c’est plutôt qu’au début de la phase d’apparition du Sheykh, ces sciences sont encore relativement faciles d’accès et ne demandent pas énormément d’efforts, de par la faible quantité de disciples l’occupant, et donc de sa disponibilité à dispenser des enseignements aux gens qui les réclament. En revanche, comme le dit bien sidi Ahmad al-‘Alawiy (radiAllâhu ‘anhu) dans la dernière partie du vers, l’accessibilité à ces sciences ne demeure pas aisée indéfiniment : lorsque la tariqa s’agrandit et que le nombre de disciple devient conséquent, le Sheykh devient alors trop occupé pour pouvoir donner du temps à chacun.

ceci a été vu et vécu par tout connaissant par Allâh ‘arif, /// que donc celui qui est doté de raison en fasse usage !!

qu’il dise : « ah le temps est passé… malheur à moi ! » /// qu’il se lève et redouble d’efforts, quand bien même si il s’imaginerait propre et en bonne voie

qu’il se dise « je me noie seul et ne dispose de rien ni personne », /// et qu’il cherche entre les capitaines de bateaux (arbâb) qui le fera arriver à destination

les Shouyoûkh recherchent en premier lieu les assoiffés, /// et Allah leur a donné (aux Shouyoûkh) les flux du Tout-Miséricordieux, sucrés, goûtus et illimités

« les assoiffés » désigne ceux dont le désir d’accéder à la connaissance d’Allâh est le plus ardent. Ceux là sont les premiers à se joindre au Sheykh et à puiser dans ses ressources qu’Allâh a rendues illimitées (illimitées par rapport au mourid, qui ne pourra jamais toutes les acquérir). Ensuite seulement viennent les autres…

Partie 2
Ce qui fait d’un shaykh un shaykh

celui qui ne donne rien au mourid dès le début, /// celui là est pris au piège de sa propre ignorance, sur laquelle il se permet de se baser

Littéralement : « Celui qui n’enrichit pas le mourid dès le premier regard , c’est-à-dire celui qui ne donne pas de preuve évidente de son rang de Sheykh, ou bien en d’autres termes, celui qui ne fait pas voir au mourid la Lumière dès la prise de la bay’ah (le pacte d’entrée dans la tariqa)… celui là est un ignorant.

il n’y a de sheykh que celui qui fait don de son secret /// plus préoccupé encore pour son mourid que pour lui-même

Le Sheykh est plus préoccupé pour son mourid que pour lui-même, c’est-à-dire qu’il se fait constamment du souci et craint pour lui les pièges de son égo ainsi que les ruses de Shaytân.

il enlève de son cœur les voiles qui le couvraient /// et l’empêchaient d’atteindre le degré spirituel le plus haut

Selon Sahl ibn Saad (radiAllâhu ‘anhu) le Messager d’Allâh (sallAllâhu ‘alayhi wa sallam) a dit : « Allâh (‘azza wa jall) est « caché » par 70 000 voiles de Lumière et de ténèbres, et il n’est point de nafs qui s’approche d’aucun de ces voiles sans périr. » [at-Tabarâniy dans son Mu’jam al-kabîr]

il (le mourid) entre dans la présence divine après en avoir été séparé /// et il voit la manifestation d’allâh où qu’il se tourne

Ce passage se réfère une nouvelle fois à l’engagement pris par les fils d’Adam (‘alayhi s-salâm) avant la création. Chaque être humain entendit alors sans oreille la parole d’Allâh ta’âla : « alastu birabbikum ? /Ne suis-Je pas votre Seigneur ? » et répondit sans langue : « Balâ, chahidnâ / Mais si, nous en témoignons… »[s7, v172]

Les fils d’Adam jouissaient donc, avant la création, de la présence divine… puis ils descendirent dans le moulk, ce bas monde, où ils prirent forme humaine et plongèrent dans les ténèbres de l’insouciance en oubliant cet engagement. Revenir à Allâh et renouveler son pacte constitue donc pour l’être humain la réalisation de ce pour quoi il fut créé et manifesté dans ce bas monde.

C’est-à-dire qu’il réalise alors le sens du verset: « A Allah seul appartiennent l’Est et l’Ouest. Où que vous vous tourniez, la Face (wajh) d’Allah est donc là, car Allah a la grâce immense; Il est Omniscient » [s2.v115]

il s’accomplit alors dans le fana’ : l’univers tout entier disparaît à ses yeux /// et il ne désire plus ni femme du paradis, ni la présence de ses amis

par allâh celui qui permet cela est un sheykh comme il n’y en a pas deux /// unique en son temps, sans personne pour l’égaler

Le Messager d’Allâh (sallAllâhu ‘alayhi wa sallam) a dit : « Allâh suscite au début de chaque siècle quelqu’un qui revivifie le dîn de cette oumma » [Rapporté par Aboû Dâwoûd]

il s’agit de an-najm at-thâqib, si toutefois tu désirais sa proximité… /// et si ta nafs s’enfle d’orgueil, sache qu’il a de toute façon plus de valeur qu’elle !

le prophète (sallallâhu ‘alayhi wa sallam) l’a revêtu du vêtement du khilâfa /// qui l’a embelli après qu’il se soit séparé de toute autre chose

et il lui suffit d’être l’héritier du sirr (secret) de son seigneur /// de cœur pur et éthéré, il est porteur de ce qu’il y a de plus beau et distingué

il a pris du prophète (sallallâhu ‘alayhi wa sallam) une science dont il s’est suffit /// il s’agit de la science du bâtin, descendue dans le cœur

Une science dont il s’est suffit par rapport à toutes les autres sciences. Il est ainsi rapporté de sidi Ahmad al-‘Alawiy (radiAllâhu ‘anhu) : « […] Mon Sheykh m’a ordonné de pratiquer le dhikr durant le dernier tiers de la nuit. Ainsi j’évoquais Allâh durant la nuit et je me joignais à lui la journée: il venait à moi, ou bien j’allais chez lui, lorsque la présence de ses proches ne m’en empêchait pas. A côté de cela, avant de goûter au dhikr j’avais l’habitude d’assister à des cours de science religieuse en milieu de journée, habitude à laquelle je m’attachais depuis. Mon Sheykh me demanda donc un jour :

  • « de quelle matière traite ce cours auquel je te vois assister régulièrement ? »
  • « Il s’agit du Tawhîd, et nous étudions en ce moment l’approfondissement des démonstrations logiques (tahqîq al-barâhîn) »
  • « Sîdî untel désignait cette matière non pas comme étant fann at-Tawhîd (la science du Tawhîd) mais plutôt fann at-Tawhîl (la science de l’envasement) ! Ce qui est prioritaire pour toi au moment où je te parle, c’est de travailler à la purification de ton intérieur, jusqu’à ce qu’apparaissent en lui les Lumières de ton Seigneur. Ainsi tu connaîtras le véritable Tawhîd quant à la science du kalâm, elle ne te fera gagner qu’en doutes et en illusions » »

[at-Tuhfat ul-Karkariya fî tarâjim as-Shâdhiliya]

une science cachée de tout le reste de la création /// et un sirr tenu secret, ne pouvant être dévoilé par des mots

Notre Sheykh sayiduna Muhammad Fawziy al-Karkariy (radiAllâhu ‘anhu) dit à ce sujet que le secret (sirr) d’Allâh reste secret même s’il est dévoilé (par des mots).