بسم الله الرحمن الرحيم
و الصلاة و السلام على أشرف المرسلين
و على اله و اصحابه أجمعين

L’âme humaine est un univers

Dans l’article précédent, nous avions vu la représentation des Secrets de la Jonction (wasl) et de la Scission (fasl) en deux triangles isocèles opposés par la base. Ces deux Secrets sont en rapport avec l’âme (nafs) du cheminant qui, après s’être annihilé complètement, peut enfin accéder à une approche du Alif at-Tawhîd.

Considérant donc que nous parlons ici de l’âme humaine, arrêtons-nous sur ce verset Coranique explicite : « Il y a sur terre des preuves pour ceux qui croient avec certitude, ainsi qu’en vous-mêmes (anfousikoum). N’observez-vous donc pas? » [s51.v21]

Le Shaykh Najm ad-Dîn Dâyah (quddisa sirruh) dit:
« Ce verset nous renvoie au fait que la nafs est le miroir de l’ensemble des Attributs divins, et c’est en ce sens que le Prophète ﷺ dit :« Celui qui connaîtra sa nafs, Connaîtra son Seigneur ». Or nul ne parvient à la connaissance de sa nafs tant que celle-ci n’a pas atteint le degré de la réalisation parfaite (al-kamâl), et ce degré de al-kamâl consiste en le fait que cette nafs devienne un miroir parfait, poli et percevant les manifestations des Attributs divins en elle. L’homme atteint donc la connaissance de sa nafs par les reflets de celle-ci, et il atteint la Connaissance de son Seigneur par Ses manifestations en elle. Dans ce sens, Allâh ﷻ dit aussi :

« Nous leur montrerons Nos signes (ayat) dans l’univers et en eux-mêmes, jusqu’à ce qu’il leur devienne évident que c’est cela (le Coran), la vérité. » [s51.v21]

Le Shaykh Roûzbehân al-Baqiliy (quddisa sirruh) dit de ce verset :

« [Le Vrai ﷻ] fit apparaître les signes (ayat) et en fit le miroir de Ses Attributs et de Son Essence, exalté soit-Il. Dans ce miroir se reflètent les Lumières de l’Essence et des Attributs, chez les gens de la contemplation (mouchâhada) de l’incréé, par le Secret des sens profonds du Tawhîd […]. Le Vrai évoqua en premier lieu les signes manifestes de Ses Attributs dont les Lumières apparaissent à l’horizon des Secrets. Ce qui est désigné ici par les « signes  » n’est autre que le monde physique concret, quant aux « Attributs », ils sont la manifestation de l’Essence qui permet la contemplation de la Haqiqa de la Haqiqa. Et s’il n’en était pas ainsi, alors quels seraient les signes manifestés des Attributs et de l’Essence ?
En vérité, les signes sont perceptibles par les yeux, les Attributs sont perceptibles par les cœurs, l’Essence est perceptible par les esprits, et le Secret de la prééternité est perceptible par les Secrets (de la ma’rifa)… mais ce Secret n’est dévoilé qu’au Secret lui-même. ».

[‘arâ’is al-bayân fi haqâ’iq al-Qur’ân, Ruzbehan al-Baqali]

On lit également dans le tafsîr du Coran Roûh al-Bayân :

« Le corps de l’Homme constitue le Trône, sa nafs est le Piédestal, son cœur est al-bayt al-ma’moûr, les douces effluves du cœur sont les jardins du Paradis, la force spirituelle constitue les anges. Les yeux, les oreilles, les narines, les orifices sous la ceinture, les glandes mammaires, le nombril et la bouche sont les douze constellations. Les sens de la vue, de l’ouïe, du goût, de l’odorat, du toucher, de la parole et de l’intellect sont tels que les sept astres principaux. La gouvernance des astres se fait par le soleil et la lune, la lune puisant (sa lumière) du soleil, et de même la gouvernance des sens se fait par l’intellect et la parole, la parole étant issue de l’intellect. Dans le grand univers on retrouve 360 jours, et de même dans l’Homme se trouvent 360 articulations. La lune se décline en 28 stations, et de même l’Homme a la capacité de produire les 28 sons différents des 28 lettres (de l’alphabet arabe). La lune apparait complètement en 15 jours et disparaît complètement en ce qu’il reste (du mois), et de même le tanwîn et le noûn avec un soukoûn (dans la lecture du Coran) ne se prononcent pas lorsqu’elles apparaissent devant 15 lettres spécifiques.

Dans le grand univers se trouvent de la terre, des montagnes, des minéraux, des océans, des fleuves, des ruisseaux, et des rigoles… et dans l’univers de l’Homme, le corps constitue la terre, les os constituent les montagnes qui sont telles des pieux maintenant la terre. Son cerveau constitue les minéraux, l’intérieur de son abdomen constitue les océans, les organes qui s’y trouvent sont tels les fleuves et ses veines constituent les ruisseaux et les rigoles (servant à irriguer la terre). Sa graisse constitue l’argile, ses poils sont ses plantes et les emplacements desquels sortent les poils constituent la terre fertile. Sa compagnie est un peuplement, tandis que sa solitude est dévastation. Son dos constitue les déserts et les plaines infertiles. Sa respiration est le vent, ses paroles sont le tonnerre, ses sons sont comme les éclairs, ses pleurs sont la pluie, ses joies sont la lumière du jour, ses peines sont les ténèbres de la nuit. Son sommeil est la mort, son éveil est la vie, sa naissance constituant le début de son voyage. Les jours de son enfance sont le printemps, ceux de sa jeunesse sont l’été, son âge adulte correspond à l’automne et sa vieillesse constitue l’hiver. Quant à sa mort, elle marque la fin de son voyage. Les années de son existence constituent les différents pays, les mois sont les habitations, les semaines sont les lieues, les jours sont les miles. Chacune de ses respirations sont ses pas, par conséquent à chaque fois qu’une âme respire, c’est comme si l’Homme faisait un pas vers sa mort. »

[roûh al-bayân, Ismaïl Haqqiy]

Par ailleurs on rapporte ces paroles de sayidina ‘Aliy ibn Abiy Tâlib (karram Allâhu wajhah) :

Ton remède se trouve en toi-même, et tu ne t’en rends pas compte
quant à ton mal, il ne provient que de toi-même, mais tu ne le perçois pas

Prétendrais-tu n’être qu’un corps minuscule
alors qu’en toi le grand univers fut plié ?

Tu es le Livre explicite
dont les lettres font apparaitre ce qui est caché

Autrement dit et à la lumière de toutes ces preuves, l’univers tout entier n’est rien d’autre que le support de la manifestation des versets du Coran, qui jaillissent de la Poignée de Lumière primordiale, la Haqîqa Muhammadiya [1], laquelle se manifeste dans le cœur du serviteur croyant. Ainsi on comprend mieux le sens du verset : « Le jour où Nous plierons le ciel comme on plie le rouleau des livres. » [s21.v104]

C’est-à-dire que l’univers tout entier est une manifestation des sens profonds réunis à l’origine dans la Poignée de Lumière primordiale, et qui furent manifestés au travers de l’Attribut divin de Parole dans Coran. En d’autres termes, l’univers tout entier n’est que la manifestation des différents versets du Coran, étendus et étalés selon la Sagesse divine dans le temps et l’espace… Or, cette Poignée de Lumière primordiale constitue à la fois le commencement du cheminement du mourid, lorsqu’elle descend dans son cœur et qu’il en ignore encore les sens profonds… et aussi la fin de son cheminement, lorsqu’il réalise et s’accomplit dans toutes les Lectures du Nom Allâh, et qu’il comprend alors la valeur de cette poignée de Lumière qu’il dénigrait à ses débuts. Il se trouve une indication claire de ces sens dans le verset suivant : « Tout comme Nous avons commencé la première création, ainsi Nous la répéterons »

De même, le Shaykh al-Qandoûziy al-Hanafi (rahimahullâh) rapporte que sayiduna ‘Ali ibn Abi Tâlib (karramAllâhu wajhah) a dit : « La Science est un Point que les ignorants ont rendu multiple ». [Yanâbi’ al-Mawaddah]

Ceci veut dire que la Science est à l’image de ce monde et tout ce qu’il contient : son commencement est un Point et sa finalité est un Point. Quant à ce qui se trouve au milieu de cet infini, sa nature est et demeure néant. « Allâh était alors que rien n’était avec Lui, et Il est aujourd’hui tel qu’Il a toujours été ». La Véritable Science est donc de réaliser que l’univers et tout ce qu’il contient est un Point, et que ce Point ne se trouve nulle part ailleurs qu’en nous-mêmes.

Allâh ﷻ dit :« Ibrâhîm était certes une Oumma, il était soumis à Allâh, voué exclusivement à Lui, et il n’était point du nombre des associateurs. »[s16.v120]

Le Shaykh Ahmad ibn ‘Ajîba (quddisa sirruh) dit :

« ibn Mas’oûd dit : « Oumma veut dire ici qu’il enseignait aux gens le bien » ou bien qu’il était une Oumma à lui tout seul, étant donné qu’en lui avait été réuni ce qui avait été dispersé en dehors de lui. Il était donc à lui seul une communauté (Oumma) d’entre les communautés, de par son accomplissement total et parfait et la réunion en lui des caractéristiques de cet accomplissement, qui ne sauraient (habituellement) être réunies qu’en considération d’un grand nombre de personnes. Le poète dit en ce sens :

Et il n’est rien qui désapprouverait
le fait que Allâh réunisse l’univers en un seul »

[al-bahr al-madid fi tafsir al-Qur’ân al-majid, ibn ‘Ajiba]

Et l’Imâm as-Sulamiy (quddisa sirruh) dit :

« « et il n’était pas du nombre des associateurs », c’est-à-dire qu’il ne considérait la privation et l’octroi, ni le bienfait et le méfait, si ce n’est comme provenant d’une Source Unique. »

[tafsir haqa’iq al-Qur’ân, as-Sulamiy]

Allâh ﷻ dit : « Ceux qui ont mécru, n’ont-ils pas vu que les cieux et la terre formaient une masse compacte ? Ensuite Nous l’avons séparée et fait de l’eau toute chose vivante. Ne croiront-ils donc pas ? » [s21.v30]

A propos de ce verset on peut lire dans Ta’wîlât al-Najmmiya :

« Les esprits des croyants et des mécréants ont été créés avant les cieux et la terre, comme le précise le Hadîth : « Allâh a créé les esprits un million d’années avant les corps. » et dans une autre version : « quatre mille ans avant les corps, les esprits étaient alors témoins de la création des cieux et de la terre, et ces deux-là en réalité ne faisaient qu’un. » Et dans le Hadîth connu : « La première chose que Allâh créa est un Joyau. Il le regarda d’un regard suscitant la peur et l’effroi, et le Joyau se mit à frémir et à fondre par crainte de son Seigneur, jusqu’à devenir de l’eau. Puis Il regarda l’eau d’un regard de miséricorde et la moitié d’elle se solidifia. Il créa alors de cette partie solide le Trône, qui frémit à son tour, et il fut écrit sur lui « lâ ilâha illâ Allâh Muhammadun Rassoûlullâh ». Le Trône s’apaisa alors, et tu verras l’eau (restante) frémir jusqu’au Jour du Jugement »

Puis, Sa Parole « nous avons fait de l’eau toute chose vivante » veut dire que tout être vivant d’entre les animaux est créé à partir de l’eau sur laquelle se trouve Son Trône. Le Joyau est en réalité le point de départ duquel sont issues toutes les créatures, et il n’est autre que l’Esprit Ultime (al-roûh al-a’dham). Les esprits des hommes et des anges furent créés de sa partie supérieure, tandis que les esprits des animaux furent créés de sa partie inférieure, qui est l’eau : « Et Allâh créa toute bête à partir d’eau ». Tous les esprits furent témoins de cela, raison pour laquelle le verset se termine par : « Ne croiront-ils donc pas ? « , c’est-à-dire ne croiront-ils donc pas en ce que Nous avons créé alors que leurs esprits étaient témoins ? »

[at-ta’wîlâte al-najmiya, Shaykh Najm ud-dîn Dâyah]

Le Shaykh Isma’îl Haqqiy (rahimahullâh) rajoute à cela dans son tafsîr :

« Sache que ce qui est voulu par la vision et la considération de ces signes n’est rien d’autre que le passage à la contemplation (ro’ya) par le cœur de Celui qui les a créés : c’est là la réalité de la Foi (Imân).

Il est rapporté que sayiduna ‘Aliy (radiAllâhu ‘anhu) monta un jour sur le minbar et dit : « Questionnez-moi sur tout ce qui se trouve sous le Trône, car dans ce cœur se trouve une Science très vaste (littéralement : dont la quantité d’eau est énorme), il s’agit de la salive du Messager d’Allâh, se trouvant dans ma bouche que vous voyez et qu’il m’a lui-même octroyé. Par Celui qui tient mon âme entre Ses mains, si on autorisait à la Torah et à l’Evangile de parler et qu’ils nous informaient de ce qui se trouve en eux, assurément ils confirmeraient ce que je dis. »  Dans l’assise des gens qui étaient là se trouvait un homme du Yémen qui dit : « Cet homme prétend une chose énorme ! Je vais le ridiculiser !  » Il se leva alors et demanda la permission de poser une question.

Sayiduna ‘Ali lui répondit : « Questionne dans le but d’élargir ta compréhension, non pas par entêtement (à propos du fait que tu aies raison) ». Le Yéménite demanda : « As-tu vu ton Seigneur, ô ‘Aliy !?  » Il répondit : « Je ne suis pas du genre à adorer un Seigneur que je n’ai pas vu.  » L’homme dit : « Comment L’as-tu vu ?  » Il dit : « Ce ne sont pas les yeux qui ont vu d’une vision oculaire, mais plutôt le cœur qui Le contempla par la Réalité de la Foi (Imân). Mon Seigneur est Un, Unique, sans associé. Un, sans deuxième avec Lui. Singulier, sans pareil. Ni l’endroit ni le temps ne peuvent Le contenir. Il ne peut être saisi par les sens, ni être mesuré par aucune dimension. » Le Yéménite s’évanouit et tomba à terre, et lorsqu’il retrouva ses esprits il dit : « Je m’engage devant Allâh à ne plus jamais poser de question par entêtement !  » ».

[Roûh al-Bayân fi tafsîr al-Qur’ân, Isma’îl Haqqiy]


[1] Dans le Hadîth qudsi : « Lorsque Je voulu créer la création, je pris une poignée de Ma Lumière et lui dis : «Sois Muhammad !», et Je créais ensuite toute chose de sa Lumière »