بسم الله الرحمن الرحيم
و الصلاة و السلام على أشرف المرسلين
و على اله و اصحابه أجمعين

Les pages de l’enlisement

« Ils n’apprécient pas Allâh comme Il le mérite quand ils disent : « Allâh n’a rien fait descendre sur un humain. » Dis : « Qui a fait descendre le Livre que Moussa a apporté comme Lumière et guide pour les gens ? Vous en faites des pages (qaratîs) pour en montrer une partie, tout en cachant beaucoup. Vous avez été instruits de ce que vous ne saviez pas, ni vous ni vos ancêtres. Dis : « Allâh », puis, laisse-les s’amuser dans leur enlisement. » [1]

Cause de révélation du verset :
Mâlik ibn as-Sayf vint un jour se confronter au Prophète ﷺ, qui lui dit alors : « Je te demande, par Celui qui fit descendre la Thora sur Moussa, ne trouves-tu pas dans la Thora que Allâh déteste le dignitaire religieux gras ? » , et l’homme interpellé était effectivement gras. Il se mit en colère et dit : « Par Allâh, Allâh n’a jamais rien fait descendre sur aucun être humain ! » Ses compagnons qui se trouvaient alors avec lui dirent : « Malheur à toi ! Pas même sur Moussa !? » Il insista : « Par Allâh, Allâh n’a jamais rien fait descendre sur aucun être humain ! ». Et c’est alors que le verset fut révélé. [2]

Ce verset nous décrit l’état de ceux qui réduisirent les Lumières divines à des concepts métaphoriques exempts de toute comparaison et de toute analogie. Ils prétendirent par là-même à la transcendance du Vrai, mais ils entendent Lui attribuer cette transcendance figée et froide, qu’Il ne S’est pourtant jamais attribué, ni à Lui-même ni à Son Prophète ﷺ. Ils ont ainsi fait d’un Livre de Tawhîd des pages d’enlisement (tawhîl), prenant de ce qui allait dans le sens de leurs passions et donnant des interprétations à ce qui allait à leur encontre. Ils firent ainsi preuve de zèle et exagérèrent dans la transcendance (tanzîh), et finirent par Le considérer comme étant très loin de Ses serviteurs… alors que par Sa Parole, Il établit Lui-même Sa Proximité ﷻ : « Et si Mes serviteurs t’interrogent sur Moi… alors Je suis tout proche. » [3] Et Il dit aussi par la bouche de Son Prophète : « Allâh a créé Adam à Son image » [4]. Il n’y a donc rien de blâmable dans le fait de considérer que Ses Attributs apparaissent et se manifestent sur Ses serviteurs, sans aucune forme de dualité, puisqu’en Réalité c’est à Lui que revient l’exclusivité de l’Existence… C’est ainsi donc que, chez ces gens, la conception de la transcendance divine (tanzîh) n’est en réalité rien d’autre que l’analogie même (tachbîh) et l’état d’éloignement de Allâh ﷻ.
Sayidi al-‘Alawiy (qaddas Allâhu sirrahu) se réfère d’ailleurs à ces gens en disant :
« Les gens les plus éloigné de Allâh, ce sont les plus zélés dans Son tanzîh ».

Tu Le considères transcendant par ta pensée et ton intellect, mais ton cœur ne Le considère que par analogie… est-ce cela le véritable tanzîh ? Tu ne L’as pas estimé à Sa juste valeur, parce que tu ne L’as pas Connu. Si tu L’avais Connu, tu aurais su qu’il n’est pas un seul atome dans cet univers qui ne perdure par Son Essence, qui n’existe par Ses Attributs, et qui ne soit apparent par Ses Noms.

La quintessence du verset :
Si tu L’avais Connu ﷻ, tu aurais su que rien n’Est en dehors de Lui, Glorifié soit-Il. Tu aurais compris qu’Il est l’Acte et sa conséquence, apparaissant dans le monde des possible. Il dit ainsi au sujet de Lui-même : « Allâh est la Lumière des cieux et de la terre » [5]. Et Il dit : « Dis : « Qui a fait descendre le Livre que Moussa a apporté comme Lumière et guide pour les gens ? » ». Il ﷻ a dans ce verset associé la Lumière à la guidée, de sorte que toute personne à qui la Lumière parviendra sera guidée, tandis que toute personne à qui la Lumière échappera s’égarera et demeurera dans l’enlisement des pages (qaratis), s’imaginant réaliser le tanzîh alors qu’il ne fait que du tachbîh ; pensant se rapprocher alors qu’il ne fait en réalité que s’éloigner. Il renie le fait de donner une interprétation aux textes (ta’wîl), puis il les interprète lui-même, et il déclare ici non authentique cela même qu’il affirme indubitable ailleurs, toujours selon le bon vouloir de ses passions ténébreuses. Si au contraire il se résignait et remettait son sort à Allâh, ce serait préférable pour lui et plus durable.

Il renie ainsi l’attribut du Messager d’Allâh ﷺ comme l’ont renié les juifs avant lui, en occultant ses références dans la Thora. Le Vrai l’a pourtant bien décrit ﷺ dans le Coran comme étant une Lumière et un flambeau, puisqu’Il ﷻ le nomma explicitement : « flambeau illuminant » [6]. Malgré tout, on prétend que le Bien-Aimé ﷺ ne serait qu’un homme et un serviteur… Oui, c’est effectivement un homme, mais pas comme tous les hommes ! de même que le saphir est une pierre, mais pas comme toutes les pierres. Evidemment, il est ﷺ un serviteur (‘abd)… mais quel serviteur ! Le premier des serviteurs, le plus parfait et le plus pieux, sur lui la paix et les meilleures salutations.

Ainsi, la Volonté d’Allâh vint à Son Prophète, manifestée sous la forme de ces gens ainsi que ceux qui leur ressemblent dans la pensée. « Dis : « Allâh » » : proclame les degrés du Tawhîd et les sens de la Singularité (tafrîd) « puis, laisse-les s’amuser dans leur enlisement. » c’est à dire laisse-les dans les illusions de leurs perceptions physiques, les imaginations de leurs belles paroles, et les mirages du monde créé : voilà ce à quoi renvoie ici le mot « khawd » (traduit ici par « enlisement »). Car le khawd désigne en fait un mélange d’eau et de terre, c’est-à-dire donc que l’eau du tanzîh s’est ici mélangée à la terre du tachbîh, obstruant leurs visions intérieures et les privant de l’apparition en eux des Lumières de la guidée. Ils sont donc et demeurent dans leur « khawd« , jouant et s’amusant, en raison de leur considération confinant les sens profonds dans des limites spatio-temporelles. Ils ont limité la possibilité de la Vision à l’au-delà, ce qui fit d’eux les enfants de dounia… or, dounia n’est que jeu et amusement.

Sayidi al-‘Alawiy (qaddas Allâhu sirrahu) dit dans l’un de ses poèmes :

Ô Messager d’Allâh, tu es…
tu es la Lumière matérialisée

Lumière sur Lumière, tu es venu
par toi le Coran a pris forme.

Et concernant sa description ﷺ nous disons :

Ô chercheur de la Connaissance d’Allâh, du sens profond et de l’Ihsân
voilà la Porte de l’agrément divin, pour celui qui évoquera son Seigneur.

Tu dois suivre al-‘Adnân, il est la Porte du Miséricordieux,
la Lumière de la preuve incontestable, sur lui Allâh a prié.

Il est la Porte Suprême, le pilier et l’enceinte sacrée
Ahmad la Lumière prééternelle, sur lui Allâh a prié.

Ô disciple, si tu es dans un état de Présence
désirant du Secret, aimant de ton Seigneur,

La Lumière est la Voie menant à la Présence du Majestueux
elle est le remède du malade, et nul autre remède qu’elle.

Et dans le tafsîr du Coran « at-Ta’wîlât an-Najmiyah » :
« « Dis : « Qui a fait descendre le Livre que Moussa a apporté comme Lumière et guide pour les gens ? » » : Qui peut rapporter un livre similaire à celui avec lequel est venu Moussa (‘alayhi s-salâm), qui a la particularité d’illuminer les cœurs endurcis par la Lumière d’Allâh ﷻ, et qui aurait la particularité, par cette Lumière, de guider à Allâh ﷻ et à Sa religion, si ce n’est Allâh Lui-même ? Car en vérité, le livre que rapporte autre que Allâh ne peut pas être comme ceci.
« vous en faites des pages » : Il a fait descendre le Livre qui illumine les cœurs et les guide à Lui, afin que vous atteignez la Connaissance par Lui, mais vous en avez fait « des pages (qarâtîs) » c’est-à-dire des pages écrites sur des feuilles au lieu d’être écrites dans vos cœurs, consistant en le fait de vous parer des caractères du Livre lui-même. Vous n’avez ainsi fait que montrer ces écritures sous leur sens littéral et exotérique : « pour en montrer une partie tout en cachant beaucoup », c’est-à-dire en cachant beaucoup des Réalités liées à la Lumière du Livre et à sa Guidée, qui sont illimitées. Vous avez été instruits de ce que vous ne saviez pas, ni vous ni vos ancêtres. » instruits de la Perfection du degré de Muhammad ﷺ, ainsi que de la Perfection de la religion qu’il apporte, au-delà de celle des autres Prophètes (‘alayhim s-salâm), ainsi que de toutes les autres religions. En ce sens Il dit aussi ﷻ : « et il vous enseigne le Livre et la Sagesse, ainsi que ce dont vous n’aviez pas connaissance », ce que le Prophète ﷺ leur a enseigné du Livre, c’est la Parole suivante : « Dis : « Allâh », puis, laisse-les s’amuser dans leur enlisement (khawd). » Quant à la Sagesse, elle désigne Son Secret ﷻ, dont l’apprentissage se fait par le suivi (du Shaykh), un secret en suivant un autre. « Dis : « Allâh » » : Il t’a mis en garde, dans un état d’isolement (khalwa), contre la considération de tout autre que Lui « puis laisse-les » c’est-à-dire laisse la création s’amuser dans leur enlisement (khawd) : laisse-les s’amuser avec ceux qui se sont joints à eux, et qu’il ne leur reste plus qu’à dire au Jour des regrets : « Nous nous associions aux gens de l’enlisement (khawd) ». » [7].


[1] Sourate al-An’âm, verset 91.
[2] Tafsîr al-Jâmi’ li-Ahkâm al-Qor’ân, al-Qurtubiy, tome 8 page 455.
[3] Sourate al-Baqara, verset 186.
[4] Sahîh al-Boukhâriy, Hadîth n°5786.
[5] Sourate al-Noûr, verset 35.
[6] Sourate al-Ahzâb, verset 46.
[7] Tafsîr at-Ta’wîlât an-Najmiyah fî tafsîr al-Ichâriy as-Soûfiy, al-Imâm Ahmad ibn ‘Omar.