بسم الله الرحمن الرحيم
و الصلاة و السلام على أشرف المرسلين
و على اله و اصحابه أجمعين

Fais passer le chameau de ta nafs
dans le chas du Alif

En arpentant la Voie Blanche (al-mahajjat al-bayda’), le cheminant avance vers la réalisation de la Foi, dont l’accomplissement ultime se trouve dans la Parole « lâ ilâha illa Allâh », mais ceci n’est bien sûr accessible qu’après avoir débarrassé le chemin de tout ce qui s’y trouvait d’encombrant… c’est-à-dire après avoir débarrassé sa nafs de tous les défauts empêchant son élévation à l’état d’esprit.

En ce sens, le Messager d’Allâh (sallAllâhu ‘alayhi wa sallam) dit :

« La foi est constituée de soixante, ou soixante-dix et quelques branches. La meilleure d’entre elle est la Parole « lâ ilâha illa Allâh », et la plus basse est de débarrasser le chemin de ce qui l’encombre. Et la pudeur est une branche de la foi. » [Sahîh Muslim]

Afin que la porte du ciel de l’Esprit leur soit ouverte, les croyants devront donc remettre leurs âmes entre les mains d’un Shaykh éducateur… un Shaykh qui leur transmettra une Lumière indiquant le chemin à suivre : « Et au moyen de l’Etoile [les gens] se guident » [s16.v16]. Le Shaykh est celui qui éduquera le disciple et lui permettra d’ôter les défauts de sa nafs encombrant son chemin vers le Vrai.

Allâh –subhânahu wa ta’ala- dit :
« Ceux qui traitent de mensonges Nos signes et qui s’en écartent par orgueil, les portes du ciel ne leur seront pas ouvertes, et ils n’entreront au Paradis que quand le chameau (jamal) pénètrera dans le chas de l’aiguille. » [s7.v40]

Le mot jamal (جمل ) / chameau s’écrit en arabe avec trois lettres :

  • Jîm (ج), dont la valeur numérologique est 3
  • Mîm (م), dont la valeur numérologique est 40
  • Lâm (ل), dont la valeur numérologique est 30.

Nous obtenons au total une valeur de 73 pour le mot jamal, ce qui nous renvoie au Hadîth précité nous informant que la Foi est constituée de soixante-dix et quelques branches.

Et dans son tafsir, sayidi Najm ad-Dîn Kubrâ (radiAllâhu ‘anhu) explique ce verset en disant :
« « Ceux qui traitent de mensonges Nos signes » : il s’agit là des bonnes Sunna descendues et instaurées par les Prophètes, ainsi que ce que Allâh –ta’ala– fit apparaitre à travers Ses Saints comme prodiges et comme Sciences… des prodiges et des Sciences que ceux-là dénigrèrent. « et qui s’en écartent par orgueil » : qui se sont enorgueilli au point de ne pas accepter et croire en ces signes. « les portes du ciel ne leur seront pas ouvertes » : les portes des cieux du cœur, qui mènent à la Présence divine. « et ils n’entreront au Paradis » le Paradis de la Proximité « que quand le chameau (jamal) » : le chameau de l’égo enflé d’orgueil « pénètrera dans le chas de l’aiguille » : il s’agit là de l’entrée dans la Voie menant à l’éducation et à la purification de la nafs qui enjoint au mal, jusqu’à ce qu’elle devienne apaisée et mérite d’être interpelée en ces termes : « Retourne à ton Seigneur » [s89.v28].

Ceci signifie que la nafs enorgueillie est tellement imposante qu’on la compare au chameau, de sorte qu’elle ne saurait entrer au Paradis, ou autrement dit ne saurait s’immerger dans la Haqiqa, si ce n’est après avoir été purifiée par les règles de la Chari’a et la bienséance de la Voie… jusqu’à ce que, grâce à l’éducation reçue, elle perde de ses mauvaises caractéristiques et soit coupée de toute attache à autre qu’Allâh… et qu’elle devienne mille fois plus fine qu’un cheveu. Alors, elle pénètrera dans le chas de l’aiguille du fana (annihilation en Allâh) et sera introduite dans le Paradis du baqa (persistance par Allâh). »
[at-ta’wilâte an-Najmiya fi tafsîr al-Ichâriy as-Soufiy]

Au sujet du verset : « ils n’entreront au Paradis que quand le chameau (jamal) pénètrera dans le chas de l’aiguille. » , ibn ‘Abbâs, ‘Ikrima et ibn Jubayr (radiAllâhu ‘anhum) ont lu : « …que quand le gros cordage (jummal) pénètrera dans le chas de l’aiguille. »

Dans la langue arabe, al-jummal désigne l’assemblage de plusieurs cordes pour en former une plus grosse et solide, qu’on utilise sur les bateaux, ou bien pour monter dans les dattiers.[voir tafsîr al-hidaya ila boulough an-nihaya – Makkiy ibn Abi Tâlib]

Or nous avions vu dans la citation précédente que pour pouvoir plonger dans l’océan des réalités spirituelles et ésotériques, l’âme de l’individu devait devenir, je cite : « mille fois plus fine qu’un cheveu. Alors, elle pénètrera dans le chas de l’aiguille du fana et sera introduite dans le Paradis du baqa. »

Il s’agira donc pour le cheminant de faire en sorte que son âme fonde et disparaisse complètement, jusqu’à ce que son être ne soit plus qu’un flux subtil, manifesté dans un fil plus fin qu’un cheveu. Ceci n’est accessible que par la porte de la Samadiya, c’est-à-dire la remise exclusive et absolue en Allâh –ta’ala-. Et l’homme frappe à cette porte par l’intermédiaire du jeûne, qui consiste selon la Haqîqa en le fait de s’abstenir de la vision de tout autre que Lui.

Allâh –ta’ala– dit : « On vous a permis, la nuit du jeûne, d’avoir des rapports avec vos femmes ; elles sont un vêtement pour vous et vous êtes un vêtement pour elles. Allah sait que vous aviez clandestinement des rapports avec vos femmes. Il vous a pardonné et vous a graciés. Maintenant donc, cohabitez avec elles, et cherchez ce qu’Allah a prescrit en votre faveur ; mangez et buvez jusqu’à ce que se distingue, pour vous, le fil blanc de l’aube du fil noir de la nuit. Puis accomplissez le jeûne jusqu’à la nuit. Mais ne cohabitez pas avec elles pendant que vous êtes en retraite rituelle dans les mosquées. » [s2.v187]

Dans son tafsîr, sayiduna ibn ‘Arabi (quddisa sirruh) dit :

« « On vous a permis, la nuit du jeûne » : dans le temps d’insouciance qui vous gagne, alors que vous êtes plongés dans la Présence divine « d’avoir des rapports avec vos femmes » : de vous rabaisser à la fréquentation de vos nafs et de vos plaisirs, car vous ne sauriez patienter et vous en passer totalement. Elles constituent pour vous un vêtement, et vous un vêtement pour elles, en vertu d’un lien inéluctable. « Allâh sait que vous aviez clandestinement des rapports avec vos femmes » en dérobant une part des réalités de vos nafs durant vos périodes consacrées au cheminement, aux efforts spirituels et à la Présence divine. « Il vous a pardonné et vous a graciés. Maintenant donc », c’est-à-dire dans le temps de pleine réalisation de la droiture (istiqâma) et dans l’état de baqa (persistance par Allâh) suivant celui du fana (annihilation en Allâh) : « cohabitez avez elles » durant les périodes d’insouciance. « et cherchez ce qu’Allâh a prescrit en votre faveur » en termes de crainte révérencielle (taqwa) et de domination de ces caractéristiques de la nafs, afin de pouvoir vous acquitter pleinement de tous les devoirs qu’impliquent la droiture (istiqâma), ainsi que des injonctions divines relatives à la servitude et à l’appel à Lui. « mangez et buvez » : soyez en leur compagnie « jusqu’à ce que se distingue, pour vous, le fil blanc de l’aube du fil noir de la nuit«  : jusqu’à ce que se manifeste à vous le commencement de l’état de Présence et les brillances qui l’accompagnent, et que ses effets et ses Lumières recouvrent l’obscurité de l’insouciance et ses ténèbres. Puis, soyez durant tout le temps déterminé en présence du Vrai, jusqu’à ce que vienne le temps de l’insouciance. Sans cela (cette alternance), il n’aurait pas été possible d’accomplir ses occupations quotidiennes. Et ne les approchez pas (vos nafs) durant vos états de pleine consécration et de présence divine, dans les mosquées de vos cœurs, auquel cas votre temps serait troublé. » [Tafsîr al-Qor’ân – ibn ‘Arabi]

L’objectif du cheminant dans la voie est la réalisation de l’Unicité, symbolisée dans la représentation du Alif, qui en arabe est une lettre s’écrivant de la même manière que le chiffre Un. Et afin de parvenir au Alif du Tawhîd, l’entité du cheminant qui au départ est une grosse corde (jummal) devra s’amoindrir jusqu’à ne plus être qu’un souffle, fluant dans l’air de son inexistence, à l’image du fil de l’aube : une douceur subtile, un isthme entre le jour et la nuit, entre la lueur et la pénombre.

Et selon l’enseignement de notre Shaykh sidi Mohamed Faouzi al-Karkari (quddisa sirruh), pour que l’âme de l’homme, c’est-à-dire le chameau (jamal – جمل) plonge et s’éteigne dans le Alif du Tawhîd, il faut que ce dernier ne voie plus autour de lui que les manifestations de la Beauté Divine (jamâl – جمال = jamal avec un Alif). Soit, dit autrement, qu’il goûte à la Beauté du Créateur, absolue et illimitée, manifestée en toute chose… mais ceci depuis son corps, son esprit et ses moyens de perception, sachant que ces derniers sont créés et donc limités. Et c’est uniquement lorsque l’aspirant parviendra à contempler l’infiniment grand dans l’infiniment petit que le cordage de son âme pourra pénétrer dans le chas du Alif at-Tawhîd.

Et quoi qu’il arrive, l’homme sera tôt ou tard contraint de réaliser cette vision de l’infiniment grand dans l’infiniment petit… Car une fois mort, celui qui était parvenu à cette réalisation dans ce bas-monde verra sa tombe s’étendre pour lui à perte de vue, et il lui sera ouvert une porte qui donne vers le Paradis, conformément aux différents Hadîth traitant la question. Depuis sa tombe donc, c’est-à-dire depuis un espace très étroit et confiné, l’homme contemplera les vastes étendues du Paradis, soit ce qui est infiniment grand.

Quant à celui qui, dans ce bas monde, s’était refusé à cela et n’avait pas atteint la réalisation du mépris de soi-même et de l’estime d’autrui, au point que le gros cordage de sa nafs (jummal) devienne tel la douceur subtile du fil de l’aube et puisse pénétrer dans le chas du Alif at-Tawhîd… alors il se verra obligé d’accomplir l’impossible : voir l’infiniment grand dans l’infiniment petit. Ses sens, sa raison, son âme et tout son être se trouvant incapables d’une telle chose, la tombe de cet individu se refermera sur lui au point que ses côtes s’entrecroisent. Et dans le Hadîth, décrivant l’état de ces gens le Messager d’Allâh (sallAllâhu ‘alayhi wa sallam) a montré ses doigts et les a entrecroisés, avant d’ajouter : « Allâh met à sa charge soixante-dix serpents, si l’un d’entre eux soufflait sur la terre, elle ne ferait plus rien pousser jusqu’à la fin du bas monde. Ils vont le mordre et le griffer jusqu’à ce qu’il arrive au jour de l’exposition des actes. » [Rapporté par at-Tirmidhiy]

Dans la symbolique soufie, le serpent désigne la nafs de l’individu, en tant qu’obstacle à la Vérité. Les gens qui n’auront donc pas complété leur foi par « lâ ilâha illa Allâh », en débarrassant tout ce qui encombrait le chemin menant à cette réalisation, seront châtiés par soixante-dix serpents, au nombre des soixante-dix branches de la foi (cf le Hadîth cité en début d’article) qu’ils n’avaient pas réalisé en ce bas monde.

Dans la Lecture du Nom « Allâh », le Alif at-Tawhîd n’est accessible qu’après avoir franchi la Scission séparant le Alif du lâm al-ma’rifa. Or, selon l’enseignement de notre Shaykh (quddisa sirruh), lorsqu’on considère les valeurs numérologiques du Alif (ا) et du lâm (ل), on obtient :

Lâm (لم)  = lam + mîm

= 30 + 40

= 70

Quant au Alif (ا), il s’écrit de la même manière que le mot alf (ألف), qui en arabe veut dire 1000.

En multipliant ces deux résultats, on obtient 70 000, et c’est ainsi que nous comprenons la parole du bien-aimé (sallAllâhu ‘alayhi wa sallam) : « Allâh (‘azza wa jall) est « caché » par 70 000 voiles de Lumière et de ténèbres, et il n’est point de nafs qui s’approche d’aucun de ces voiles sans périr. » [at-Tabarâniy dans son Mu’jam al-kabîr]

C’est-à-dire qu’en quelque sorte, il n’est pas une fibre du gros cordage de l’âme humaine (jummal) qui ne traverse ces voiles sans être complètement anéantie. Et lorsque le fil de l’âme deviendra 1000 fois plus fin qu’un cheveu, il pénètrera le chas du Alif mouqaddar… Alors, le mourid pourra réunir et raccommoder les morceaux épars de sa considération du tanzîh de l’Esprit, changeant sa considération du divin inaccessible en une mouraqqa’a de tachbîh, soit une nafs concrète et palpable. Cette mouraqqa’a ne sera alors plus constituée de carrés assemblés les uns aux autres, conformément à la considération quadrilatérale de la Basmala, manifestée physiquement dans la forme actuelle de la Ka’ba… mais plutôt, le nouvel habit sera fait de triangles, conformément à la considération triangulaire de la Basmala comme cela fut expliqué en introduction.