بسم الله الرحمن الرحيم
و الصلاة و السلام على أشرف المرسلين
و على اله و اصحابه أجمعين

Objectif zéro

Allâh ﷻ dit : « Vois-tu celui qui prend sa passion pour sa propre divinité ? Allah l’égare sciemment, scelle son ouïe, son cœur et Il étend un voile sur sa vue. Qui donc peut le guider après Allah ? Ne vous rappelez-vous donc pas?
Et ils dirent: « Ce n’est que notre vie d’ici-bas: nous mourons et nous vivons, et seul le temps (al-dahr) nous fait périr ». Ils n’ont de cela aucune connaissance : ils ne font qu’émettre des conjectures. »
[s45.v23/24]

Le Vrai nous enseigne ici que les gens ayant pris pour divinité leurs propres passions ont l’ouïe, le cœur et la vue scellés. Et dans le verset suivant, qui se trouve être le 24ème verset de la sourate, au nombre de lettres composant la Parole Bénie menant à la réalisation spirituelle parfaite (lâ ilâha illa Allâh, Muhammadun Rassoûlullâh)… il nous est expliqué que ces gens ne font que traiter d’un sujet dont ils n’ont aucune connaissance. Soit dit autrement, que le dit sujet est une Science éminente, qui ne peut être appréhendée que par des serviteurs dont la vue intérieure du cœur aura été ouverte…

Cette Science éminente fut réunie en quelques mots, que l’on tente de traduire en français par : « Ce n’est que notre vie d’ici-bas : nous mourons et nous vivons, et seul le temps (al-dahr) nous fait périr ».

Lorsque le cheminant parvient à un degré où sa considération des directions est totalement anéantie dans la Lumière Muhammadienne, c’est-à-dire lorsqu’il perd toute notion et tout repère dans l’espace, il ne voit alors plus que par les yeux de l’Aimé ﷺ, et de ce fait il goûte en partie à l’état relaté dans le Hadîth suivant :
Selon sayidina Abou Houreyra (radiAllâhu ‘anhu), le Messager d’Allâh ﷺ dit : « Voyez-vous ma qibla ici ? Par Allâh, votre concentration (dans la prière) et votre roukou’ ne m’échappent pas un seul instant : je vous vois de derrière mon dos. » [Rapporté par al-Boukhâriy et Muslim]

Le véritable Amour consiste en le fait de fondre et disparaître totalement dans l’Aimé. Les véritables Amoureux du Messager d’Allâh ﷺ sont donc ceux qui se seront éteints en leur Bien-Aimé, ceux qui auront vu sa Lumière les cerner de toutes parts, puis consumer leur être tout entier, jusqu’à devenir « Lumière sur Lumière, Allâh guide vers Sa Lumière qui Il veut »… alors, ils purent goûter à la réalité de l’ « Arbre béni, un olivier ni oriental ni occidental », soit qui a perdu toute considération de direction, au point que leur notion de ce qui se trouve devant eux soit devenue égale à leur notion de ce qui se trouve dans leur dos.

C’est aujourd’hui à des noms comme Albert Einstein, Max Planck et autres scientifiques que l’humanité pense devoir les découvertes ayant révolutionné le monde moderne…
Avec la théorie de la relativité, ce que les physiciens pensent avoir découvert n’a pourtant jamais été qu’une étape dans le cheminement spirituel réalisé par les gens d’Allâh depuis la nuit des temps, un cheminement que l’on retrouve parfaitement décrit dans le Coran et la Sunna. Par les calculs et la raison, les scientifiques ont donc établi cette théorie de la relativité, qui conçoit entre autres que l’espace et le temps constituent une seule et même entité… or c’est justement ce à quoi parvient le cheminant vers Allâh ﷻ dans la voie du soufisme authentique.  A la différence que pour le disciple Karkariy, il ne s’agit pas de quelque chose purement théorique et abstrait, un calcul que le professeur écrit à la craie blanche sur le tableau noir, et qu’il s’agit d’accepter tel quel sans discuter… au contraire, c’est une expérience personnelle que le Karkariy vit de tout son être, lorsque le Alif de l’Esprit (la craie) du Shaykh vient graver de Lumières le support noir (le tableau) de sa nafs.

Nous disons donc que lorsque le cheminant par la Lumière divine parvient à se débarrasser de toute considération des directions, il se débarrasse du même coup des limites que le temps lui fait s’imposer à lui-même. Et alors, la notion de devant et de derrière exprimée dans le Hadîth Prophétique susmentionné prend non seulement une dimension spatiale, mais aussi temporelle… Autrement dit, notre Prophète bien-aimé ﷺ voyait aussi bien devant que derrière lui, que ce soit dans une dimension spatiale aussi bien que temporelle : devant ses yeux équivaut à derrière sa tête, et demain équivaut à hier.

La réunion de ces deux caractéristiques, spatiale et temporelle, fut clairement relatée dans plusieurs Hadîth authentiques, dans lesquels le Messager d’Allâh ﷺ nous rapportait des informations de l’Enfer et du Paradis (c’est-à-dire de l’au-delà !), qu’il voyait de ses yeux alors même qu’il se trouvait au milieu de ses Compagnons :

Selon Jâbir (radiAllâhu ‘anhu) : « Alors que nous étions en train de prier le dhohr, le Messager d’Allâh ﷺ s’est avancé, et nous fîmes de même. Puis, il a tendu la main pour prendre quelque chose, mais il s’est finalement abstenu. Une fois la prière terminée, Obay ibn Ka’b lui a demandé : « Ô Messager d’Allâh, tu as fait aujourd’hui quelque chose dans la prière que nous ne t’avons jamais vu faire auparavant. » Il répondit : « Le Paradis m’a été présenté, avec ce qu’il contient comme fleurs et comme belles choses. Il m’en a été proposé une grappe de raisin, afin que je vous la rapporte, mais un obstacle entre la grappe et moi m’en a empêché. Si je vous l’avais rapportée, tous ceux qui se trouvent entre les cieux et la terre en auraient mangé sans ne rien en diminuer. » » [Rapporté par al-Boukhâriy]

Dans le Coran, le mot « al-dahr / le temps » apparaît deux fois. Nous avons mentionné le premier verset en début d’article. Quant au second :

« Est-il parvenu à l’Homme un laps (hîn) de temps (al-dahr) durant lequel il n’était même pas une chose mentionnable ? » [s76.v1]

Selon notre compréhension du tafsîr de Mawlana Mohamed Faouzi al-Karkari (quddisa sirruh), le laps de temps désigne l’instant en dehors du temps où al-Dahr, qui est un Nom d’entre les Noms d’Allâh, Se manifeste à Sa créature, en dehors de l’endroit. Le cheminant transcende par là-même tout son être, en Lui, par Lui et pour Lui, et c’est alors qu’il réalise qu’il n’est, qu’il n’a jamais été et qu’il ne sera jamais « même pas une chose mentionnable ».

Le temps… mais qu’est-ce que le temps au juste ? Son existence est-elle une existence au sens où on l’entend ?… ou bien plutôt une réalité transcendant nos perceptions, à l’instar de Celui qu’elle désigne ?

Car en effet, le Hadîth Prophétique nous l’énonce clairement : « N’insultez pas le Temps (ad-Dahr) car ad-Dahr, c’est Allâh »

  • Si l’on considère que le temps n’a pas d’existence propre, alors qu’est-ce qui fait que ce matin nous avons bu, qu’en ce moment nous respirons, et que ce soir nous dormirons… Si le temps n’existe pas, qu’est-ce qui permet cette succession des évènements, faisant de l’univers ce qu’il est aujourd’hui ?
  • Et si l’on considère que le temps existe bien, alors il faut réaliser que ce matin n’existe plus, que ce soir n’existe pas encore… et que si un instant dans le temps existe, c’est bien l’instant présent, ou plutôt l’instant qui est perçu. Or, pour toute chose que l’on perçoit, l’information met toujours un certain temps entre le moment où elle a lieu et celui où elle atteint la conscience. Par conséquent, quelle que soit la nature de ce que nous voyons, entendons, ressentons… et que nous apparentons au « présent », notre perception concerne une réalité appartenant au passé, et donc à l’inexistant.

Et en y pensant bien, pour tout instant considéré comme présent, donc « existant »… si l’on agrandit l’échelle de précision du temps t, on constate que cet instant appartient nécessairement soit au passé, soit au futur… et donc à l’inexistant.

Mais alors que penser… oui… ? ou non… ?
C’est en ce sens que notre Shaykh (quddisa sirruh) dit dans l’une de ses Sagesses : « Entre le « oui » et le « non », les intellects demeurent abasourdis et perplexes. »

Un disciple Karkariy tenta de décrire l’abasourdissement et la perplexité naissant de cet état, disant ainsi :
« Je suis un ange et un démon, pire que les premiers, meilleur que les seconds.
Avant même qu’elles ne surviennent, j’avais oublié : mes larmes étaient-elles des larmes d’espoir… ou bien de regrets ?
Et mes rires, étaient-ils des rires d’allégresse… ou bien de détresse ?
Dans l’école de l’Amour, je n’ai haï que ceux que j’aimais… et dans l’inexistence de ma haine, je n’ai aimé que ceux que je haïssais.
Jusqu’à la Porte de la Ville, j’ai recherché la Science… à l’intérieur, la Science devint la conscience de mon ignorance. Et à l’extérieur, je fis passer cette ignorance pour de la Connaissance.
Endormi, je recherche l’éveil… éveillé, je n’espère plus que le sommeil.
Insatisfait de la contemplation des étoiles, je réclame avidement celle du Soleil… mais lorsque Celui-ci Se manifeste, je supplie qu’on m’allonge mon état de la veille. »

Sayiduna Muhyi d-dîn ibn ‘Arabi (quddisa sirruh) relate dans ses Futuhât :
« Je me rendis un jour à Cordoue, chez le Qadi Abû l-Walîd Ibn Rushd [Averroès]; ayant entendu parler de l’illumination que Allâh m’avait octroyée, il s’était montré surpris et avait émis le souhait de me rencontrer. Mon père, qui était l’un de ses amis, me dépêcha chez lui sous un prétexte quelconque. A cette époque j’étais un jeune garçon sans duvet sur le visage et sans même de moustache. Lorsque je fus introduit, il [Averroès] se leva de sa place, manifesta son affection et sa considération, et m’embrassa. Puis il me dit : « Oui. » A mon tour, je dis : « Oui. » Sa joie s’accrut en voyant que je l’avais compris. Cependant, lorsque je réalisai ce qui avait motivé sa joie, j’ajoutais : « Non. » Il se contracta, perdit ses couleurs, et fut pris d’un doute : « Qu’avez-vous donc trouvé par le dévoilement et l’inspiration divine ? Est-ce identique à ce que nous donne la réflexion spéculative ? » Je répondis : « Oui et non. Entre le oui et le non les esprits prennent leur envol hors de leur matière, et les nuques se détachent de leur corps. » Averroès pâlit, je le vis trembler ; il murmura la phrase rituelle : il n’y a de force qu’en Dieu, – car il avait compris ce à quoi je faisais allusion. »

Contrairement aux Prophètes et aux Saints qui persistèrent dans le « oui », Iblis se rattacha au « non », sans toutefois qu’aucun d’eux ne rejette son opposé, ce qui serait évidemment contraire au Tawhîd.
Allâh ﷻ est l’Être Unique réunissant l’ensemble de tous les opposés, et si le « oui » est apparenté à ce que l’on désigne par al-Jamâl, le « non » est alors désigné par al-Jalâl… Le Miséricordieux serait ainsi associé au « oui », et son opposé, le Dur en châtiment, au « non ». En se basant sur l’essence même du « non » visant à établir la non existence absolue, Iblîs pense échapper au châtiment… or Allâh ﷻ dit dans un Hadîth qudsi : « Ma Miséricorde l’emporte sur Mon Courroux ». C’est la raison pour laquelle le « oui » aura toujours le dessus sur le « non », et par là même, la Lumière sur les ténèbres… C’est par le « oui » que le « non » s’exprime, et par le « non » que le « oui » est magnifié. C’est donc finalement par Miséricorde divine que Iblîs recevra, de même que tous les habitants de l’Enfer, un châtiment terrible ; et c’est encore par la Miséricorde divine que ce châtiment sera perpétuel… car si le Courroux divin du « non » surpassait la Miséricorde du « oui », la violence de ce Courroux réduirait les châtiés à néant et établirait leur inexistence de manière absolue, ce qui aurait pour effet de mettre un terme à leur souffrance… or cette souffrance doit demeurer éternelle.

De manière imagée, on considère deux demi-droites se rejoignant, ou plutôt s’annulant en un point zéro, et s’étendant à droite vers une Miséricorde infinie, et à gauche vers un Courroux infini lui aussi. L’ensemble des Attributs divins seraient ainsi représentés, opposés les uns aux autres, sur un disque, ou plutôt un plan dont l’origine commune serait le Point Zéro.
Les infinis opposés un-à-un n’ont de lien les uns avec les autres que par l’intermédiaire du Zéro, ou d’absolue neutralité de ce qui ne penche ni vers le Jamâl, ni vers le Jalâl ; soit ni vers le Paradis, ni vers l’Enfer… par conséquent, si tu veux parvenir à la Connaissance de Celui qui réunit l’ensemble de tous les infinis, le Créateur du Paradis et de l’Enfer, il faudra que tu deviennes toi-même ce Zéro.
Le Messager d’Allâh ﷺ définit l’ihsân en disant : « C’est d’adorer Allâh comme si tu Le voyais. Si tu réalises que tu n’es pas : alors tu Le verras (fa in lam takoun : tarah), car Lui Il te voit. ».

Et c’est justement cette expression de « lam takoun » que l’on retrouve dans le verset que nous étudions :

« Est-il parvenu à l’Homme un laps de temps durant lequel il n’était même pas (lam yakoun) une chose mentionnable ? » [s76.v1]

Ce verset est le premier verset de la sourate al-Insân, l’Homme, en référence à al-Insân al-Kâmil, celui qui sera parvenu au degré spirituel selon lequel ce qui se trouve derrière est égal à ce qui se trouve devant lui, dans une dimension spatiale aussi bien que temporelle (l’une et l’autre ne formant en réalité qu’une seule et même entité).

Al-Insân al-Kâmil est l’être humain ayant réalisé la Connaissance parfaite de son Seigneur, par son Seigneur Lui-même ; al-Insân al-Kâmil par excellence étant notre Bien-Aimé Prophète ﷺ.
Quant au Seigneur, Ses Noms et Attributs sont infinis, de même que les flux subtils qui en émanent, et nulle créature n’est en mesure de cerner ni percevoir cette dimension infinie… Or pour accéder à la Connaissance de son Seigneur, il faut être en mesure de réunir ces dimensions infinies de ce qui est incréé. Comment ?

Le zéro, degré de la wilaya de l'Homme complet


Comme nous le voyons sur cette représentation simplifiée, le seul point où se rencontrent deux infinis, c’est le zéro. Le disciple devra donc atteindre et se réaliser pleinement dans le zéro, et c’est alors qu’il embrassera la Connaissance de l’Unique : le Premier et le Dernier, l’Apparent et le Caché. Et par le fait que le zéro n’a pas d’existence en lui-même, par le fait qu’il s’agit de la désignation de quelque chose qui n’est que purement théorique, mais jamais réalisé pour nous en tant que créatures… nous comprenons en quelle mesure le cheminement spirituel n’a pas de fin.

Il ne s’agit pas du déplacement d’un point vers un autre. On ne considère donc pas qu’un disciple dans la Voie soit plus avancé qu’un autre en ce sens qu’il ait « plus que untel », car l’avancement spirituel n’est pas une accumulation et un emmagasinement de ce que l’on ne pourra jamais cerner entièrement, car infini… Au contraire, l’avancement spirituel est le degré atteint dans le retour infini de la créature à sa réalité inexistante et nulle. Par conséquent, le plus avancé des cheminant est celui qui tendra le plus vers cet idéal inaccessible et infini du Zéro…

C’est en ce sens que l’on décrit notre Prophète ﷺ comme « Oummiy », ce qui n’est bien évidemment pas à limiter au fait qu’il ne savait ni lire ni écrire… mais même, que toute sa Connaissance et que tout son être étaient annulés dans la perfection du Zéro, et que ne persistait en réalité de lui que la perfection des manifestations illimitées de son Seigneur, ou l’apparition de l’infini dans le fini.

Il ne savait rien, ne prononçait rien, ne faisait pas le moindre geste sans agir par la Permission de son Seigneur, comme nous le prouve la Parole divine : « Il ne prononce rien sous l’effet de la passion » [s53.v3]

L’Homme ayant parfaitement réalisé ce degré du Zéro n’est plus rattaché à l’existence par l’illusion de sa nafs, et ce de manière absolue. Autrement dit, cet Homme ne sait plus ni lire, ni écrire… Si on lui demande quel est son nom, il ne saurait pas répondre. Et de toute façon, ne sachant même pas parler, comment répondrait-il ? Et ne sachant pas même respirer, comment prononcerait-il le moindre son ?

Pour tenter de synthétiser tout cela, nous dirons qu’en tant que cheminant sur les traces du Maître des fils d’Adam ﷺ, le soufi recherchera dans un premier temps l’extinction par la Lumière de ses perceptions spatiales : devant, derrière, à droite, à gauche, en haut et en bas. Dès lors il sera en mesure, à l’instar du Bien-Aimé ﷺ, de voir derrière lui aussi bien que devant lui.

Ce faisant, il réalisera que l’espace est lié au temps au point que tous deux ne forment en réalité qu’une seule et même entité. Dès lors, en réalisant son absolue non-limitation par l’espace, le disciple réalisera de même son absolue non-limitation par le temps, sachant que « seul le temps (al-dahr) nous fait périr » [s45.v24]
Ceci pleinement réalisé, le cheminant sera également dépouillé de tout ce qui fait de lui ce qu’il est, à savoir : quelque chose en dehors du Point Zéro. Et il est une distinction à établir entre le Point Zéro et le Zéro. Le Point Zéro est le markaz, l’objectif, le centre du cercle… tandis que le Zéro, c’est le cercle, c’est l’anneau du confinement (taqyid) de ta nafs, ou l’anneau de tout ce qu’aura pu saisir ton intellect du désert absolu et illimité de l’Esprit. (Hadîth)
En d’autres termes, ce qui fait de l’individu quelque chose en dehors du Point Zéro, c’est le Zéro lui-même, c’est-à-dire la science ou la connaissance…

Pour parvenir à son But, il incombera donc au disciple de se débarrasser des limites spatio-temporelles qu’il s’impose à lui-même, ainsi que de toute sa connaissance… jusqu’à devenir parfaitement Oummi.