بسم الله الرحمن الرحيم
و الصلاة و السلام على أشرف المرسلين
و على اله و اصحابه أجمعين

Les réalités de ces trois fonctions sont souvent confuses dans l’esprit des musulmans, faisant même l’objet de divergences dans les définitions qu’en apportent les savants. En plus de ces divergences et du manque de clarté parfois donné dans les définitions, beaucoup ne comprennent pas les honneurs faits aux saints (awliya), car comme le disent certains, « ils ne sont pas des prophètes ». Si le saint (wali) n’est effectivement pas toujours un prophète ou un envoyé, sa fonction ne doit nullement être méprisée. Bien au contraire, sa fonction doit être sanctifiée, par reconnaissance de ce qu’Allah ﷻ Lui-même a élevé, sans que sa personne ne soit mise au-dessus des prophètes envoyés, mais bien en considération de la fonction de la sainteté, en dehors même de la considération de la personne qui la porte. Il est effectivement nécessaire de comprendre la sainteté, la prophétie et la fonction d’envoyé en tant que réalités, sans les rattacher à des individualités. La « dématérialisation » permet ensuite de mieux les expliquer une fois qu’ils sont rattachés à leurs porteurs.

Les différences dans le sens apparent :

Le prophète (nabi) reçoit d’Allah ﷻ une révélation, mais celle-ci n’est pas une nouvelle Loi. Il renouvelle le din d’Allah, sans qu’un Livre ou une Loi nouvelle ne soient prêchés. Le prophète est prophète dans son peuple, afin qu’en leur sein subsiste un Homme lié à Allah en mesure de les guider et de ne pas les laisser seuls face à des textes anciennement révélés, ou dans certains cas sans texte. C’est pourquoi les communautés précédentes étaient gratifiées de nombreux prophètes, alors que la communauté musulmane a été gratifiée par les savants d’Allah en vertu du hadith « certes les savants sont les héritiers des prophètes ». [1]

L’envoyé ou messager (rassul) est évidemment prophète, car il a une révélation d’Allah ﷻ et est présent pour son peuple, mais il est aussi envoyé (rassul) car sa mission est plus grande : il doit enseigner la Loi révélée, transmettre les Livres célestes – pour celui qui en a reçu – et établir pour les gens la religion d’Allah tel qu’Allah ﷻ lui a révélé.

Le saint (wali) est le plus haut degré qu’un suiveur de prophète et messager peut atteindre. La sainteté est un don d’Allah ﷻ, une élection divine comme le sont la prophétie et la mission d’envoyé. Il excelle dans la servitude et atteint la plénitude dans la voie blanche. C’est un être non seulement lumineux, mais illuminant pour ceux qui se joignent à lui. Il est entièrement dans la lumière divine, au point où il a été désigné par Allah ﷻ comme celui qui sort les croyants des ténèbres à la Lumière. Autrement dit, il mène les gens à réaliser leur prophétie intérieure et soumettre leur être tout entier au véritable message des envoyés.

Maintenant que leurs différences apparentes sont exposées, il est nécessaire de préciser qu’un prophète est aussi un saint, et qu’un envoyé est aussi un prophète et un saint. C’est pourquoi nous avons dit qu’il était nécessaire de comprendre les fonctions au-delà de ceux qui les portent, car les trois fonctions peuvent se retrouver réunies en une seule personne.

Ibn ‘Arabi écrit dans fusus al-hikam :

« Si un prophète prononce une parole qui dépasse la portée de sa fonction de législateur, il le fait alors en qualité de saint (wali) et connaissant (‘arif) ; c’est pourquoi sa station de possesseur de la connaissance est plus universelle et plus parfaite que sa station d’envoyé et législateur. Si donc tu entends un des Hommes de Dieu dire – ou s’i l’on rapporte qu’il a dit – que la sainteté est plus élevée que la prophétie, sache qu’il entend par là ce que nous venons de mentionner. Ou bien, s’il affirme que le saint (wali) est au-dessus du prophète (nabi) et de l’envoyé (rassul), il se réfère à une même personne et il veut dire que l’envoyé est, en vertu de sa sainteté, plus complet qu’en vertu de sa fonction de prophète envoyé. Il ne veut pas dire que ces saints qui sont des disciples de l’envoyé sont plus élevés que lui. »

Commentaire : 

« Si un Prophète prononce une parole qui dépasse la portée de sa fonction de législateur, il le fait alors en qualité de saint et connaissant ». A l’instar de certaines paroles rapportées par les saints, certains ahadith ont montré la limite des commentateurs, comme le hadith dans lequel le Prophète ﷺ a dit : « J’ai vu mon Seigneur à l’image d’un jeune homme imberbe à la chevelure bouclée. » [2] Ou encore ce hadith : « […] Puis je me suis assoupi dans ma prière, et en m’éveillant je me suis trouvé avec mon Seigneur, dans la plus belle des apparences. […] Je Le vis poser Sa Main entre mes épaules, jusqu’à sentir la fraîcheur de Ses Doigts dans ma poitrine. Tout se manifesta (tajalla) alors à moi, et j’atteignis la Connaissance. » [3]

Ces textes-là sont effectivement compliqués à expliquer pour coller avec la prophétie ou la fonction d’envoyé, c’est-à-dire avec ce qui pourra être facilement admis par la communauté pour que ces textes collent avec les règles fondamentales de croyance. Si cela est le cas, c’est parce qu’il y a des éléments de la vie des prophètes et envoyés qui sont du domaine de la sainteté, de leur expérience propre avec leur Seigneur pour leur lien personnel à Lui.

« C’est pourquoi sa station de possesseur de la connaissance est plus universelle et plus parfaite que sa station d’envoyé et législateur », car cela n’est point pour faciliter les intellects des suiveurs. Ce qui vient de la prophétie ou de l’envoyé est forcément descendu au niveau de l’intellect, pour que le commun des gens puisse comprendre et sauver leurs âmes du feu. Cela ne signifie nullement que la prophétie et la fonction d’envoyé sont au niveau des gens, car pour y parvenir, il faut que l’Ordre divin descende depuis le lotus de la limite (sidrat al muntaha) jusqu’au travers des 7 cieux. Ce n’est que lorsque le prophète ou envoyé exprime ce qu’il a reçu de son Seigneur que les choses semblent simples, alors qu’elles ne le sont nullement. Quant à la sainteté, elle subjugue, elle efface l’intellect, car son domaine est au-dessus du Trône, et ne peuvent la comprendre que ceux qui en sont imprégnés. La sainteté est ainsi plus universelle, car elle englobe les 7 cieux, les 7 terres, le Trône et le Piédestal. Son expression est néanmoins troublante pour la plupart des gens, et si elle n’avait su se manifester à travers la prophétie et la fonction d’envoyé, jamais l’humanité n’aurait pu espérer atteindre une quelconque connaissance de ce qui provient d’au-delà des cieux.

« Si donc tu entends un des Hommes de Dieu dire – ou s’i l’on rapporte qu’il a dit – que la sainteté est plus élevée que la prophétie, sache qu’il entend par là ce que nous venons de mentionner. » Nombreuses paroles de saints peuvent effectivement sembler problématiques en remettant en cause la suprématie des prophètes et envoyés sur les saints. Voici ce qu’en rapporte le Shaykh Ahmad al-‘Alawi – lui-même saint – et ce qu’il en dit : « Quant aux exclamations des plus grands gnostiques, laissant entendre ou même déclarant  explicitement qu’ils ont dépassé le degré des prophètes et envoyés, elles s’expliquent de la manière suivante ; prenons  par exemple la parole d’Abu Yazid al-Bistami : « Nous avons plongé dans un océan sur les rivages duquel sont restés les prophètes », celle d’Abd al-Qadir al-Jilani : « Ô compagnies des prophètes, il vous a donné un titre et il nous a été donné ce qui ne vous a pas été donné […] » et la parole d’un gnostique : « Les degrés des prophètes s’arrêtent où commencent ceux des saints. » Ces paroles s’expliquent par le fait que le gnostique a son « heure » ainsi que l’a dit le Prophète ﷺ : « Il est pour moi une heure où seul mon Seigneur suffit pour me contenir. » Extinction, submersion et annihilation surviennent tout à coup pour le gnostique, de sorte qu’il se retire de la sphère des sens et perd toute conscience de lui-même, laissant en arrière toutes ses facultés et même sa propre existence. Cette annihilation est dans l’Essence même de la vérité, car de la divine sainteté descend sur lui un flot et l’oblige à sa voir lui-même comme l’intime soi de la vérité, en vertu de son effacement et de son annihilation en elle. En cet état, il prononce des paroles comme : « Gloire à Moi » ou « Il n’y a de dieu que Moi seul » : il s’exprime alors par la langue de la vérité, non pas par sa propre langue, et il parle non de sa propre part mais de la part de la vérité. Telles sont les exigences de l’extinction qui appartient à cette étape. Nous ne devons pas en conclure que ces saints ont dépassé le degré des prophètes. C’est pourquoi, mon frère, chaque fois que tu entends quelques paroles de ce genre de la bouche d’un shaykh, interprète-la comme ayant été prononcé dans un état d’extinction de son moi et de submersion dans l’infini de son Seigneur. » [4]

« S’il affirme que le saint (wali) est au-dessus du prophète (nabi) et de l’envoyé (rassul), il se réfère à une même personne et il veut dire que l’envoyé est, en vertu de sa sainteté, plus complet qu’en vertu de sa fonction de prophète envoyé. Il ne veut pas dire que ces saints qui sont des disciples de l’envoyé sont plus élevés que lui. » Lorsque donc nous lisons des paroles telles que « nous avons plongé dans un océan sur les rivages duquel sont restés les prophètes », nous ne devons surtout pas les comprendre dans le sens où le saint dépasse les prophètes, mais dans le sens où la sainteté des prophètes et envoyés surpasse leurs autres fonctions, car c’est elle le point de départ et l’arrivée suprême des deux autres que sont la fonction de prophète et celle d’envoyé.

La compréhension à travers le Alif du Nom

Comprendre les fonctions de saint, de prophète et d’envoyéComme il est exprimé dans cette représentation du Nom, conforme à l’enseignement du Shaykh Mohamed Faouzi al-Karkari – qu’Allah sanctifie son secret –, le Alif est en deux parties – bien qu’il soit un seul ensemble – dont l’une renvoie à la prophétie et l’autre à la fonction d’envoyé. Ce qui réunit ces deux fonctions, c’est le point de la sainteté. C’est cet océan dans lequel les saints ont plongé, et duquel les prophètes et envoyés sont restés sur les rivages. Autrement dit, ils sont restés chacun dans la partie du Alif qui leur correspond dans leur fonction, sauf durant « l’heure dans laquelle seul le Seigneur ne peut les contenir », comme le dit le Prophète ﷺ. Cette heure, c’est la leur, elle demeure un secret entre eux et leur Seigneur : elle est du domaine de la sainteté. Mais le fait qu’il fut dit qu’ils soient restés sur le rivage de la sainteté, c’est parce que leur fonction qui est la plus mise en avant n’est pas cette dernière. Le prophète est avant tout un saint, mais sa fonction de prophète prédomine car c’est par cela qu’il est désigné ici-bas et dans l’au-delà, de même pour l’envoyé. Leur rôle est donc de rester sur les rivages de la sainteté, ou autrement dit, d’en faire ressentir le parfum pour que la masse des gens parvienne au salut, sans être troublé par l’extrême grandeur de ce que la sainteté renferme. Seuls quelques élus sont éduqués par la sainteté des prophètes et messagers, ou par les saints de la communauté du maître des messagers. Quoiqu’il arrive, bien que tout provienne de la sainteté, c’est sous la robe de la prophétie et de l’envoyé que l’humanité parvient au salut ici-bas et dans l’au-delà.

Le Saint (al-Wali), un Nom d’Allah

Ce Nom divin (Wali) a été donné à ces serviteurs qui sortent les croyants des ténèbres à la Lumière, sans séparation avec le Nom d’Essence Allah. Le Shaykh Sidi Mohamed Faouzi al-Karkari insiste toujours sur cette façon de lire le verset « Allahu Waliyu-l-ladhina amanu yukhrijuhum mina-dh- dhulumati ila-n-nur – Allah est le Wali de ceux qui ont la foi, Il les sort des ténèbres à la Lumière » [5], en disant « Allah Wali », sans rien qui ne vienne séparer ces deux Noms. Il montre par-là que la sainteté ne vient que d’Allah, et qu’elle est directement liée à l’Essence – indiquée par le Nom d’Essence Allah – c’est pour cela que tout prophète et envoyé est avant tout un saint, car c’est par cette réalité que la science lui parvient de l’Essence divine. Si la sainteté n’existait pas, la fonction de prophète et envoyé n’aurait pas été donnée à l’humanité.

Nous pouvons aussi dire que la prophétie et la fonction d’envoyé apprennent à aller vers Allah, tandis que la sainteté montre comment Allah vient vers nous, ou comment Il ne fait qu’aller depuis Lui-même vers Lui-même. Si nous devions illustrer nos propos par un hadith, ce serait celui-ci : « Lorsque le serviteur se rapproche de Moi d’un empan, Je Me rapproche de lui d’une coudée. Lorsqu’il se rapproche de Moi d’une coudée, Je Me rapproche de lui d’une brasse, et lorsqu’il vient vers Moi en marchant, Je Me hâte vers lui. » [6] Ce qui enseigne au serviteur de s’approcher d’Allah, de marcher vers Lui, c’est ce qui vient de la prophétie et de la fonction d’envoyé, ce qui vient de la croyance et des pratiques pieuses. Quant à ce qui fait venir Allah vers qui se rapproche de Lui, c’est la sainteté. C’est par la sainteté qu’Il saisit son serviteur et Lui enseigne à quel point Il est Proche. Comme dans ce hadith, ce qui vient du serviteur comme ce qui vient d’Allah est indissociable, c’est pourquoi les trois fonctions sont réunies dans le Alif, comme dans la représentation du Nom tel qu’Il est enseigné dans la Voie Karkariya.

L’apparition continue de la sainteté mohamedienne

Notre bien-aimé Mohamed ﷺ est la saint par excellence. Il ﷺ est celui qui a atteint le plus haut des degrés, qui a rejoint le lotus de la limite, duquel il ramena la prière pour sa communauté. Si nous prenons l’exemple de la salat, cette prière vient du « lieu » de la sainteté, mais son enseignement gestuel relève de l’enseignement de l’envoyé. Néanmoins, ses secrets, provenant du domaine de la sainteté, sont mohamediens. Ils viennent du cœur mohamedien, irriguant par sa Lumière les cœurs des croyants. De cœur à cœur la sainteté enseigne et apparaît de manière évidente à travers les saints de la communauté mohamedienne. Si l’enseignement et la transmission restent au niveau des cœurs, les saints mohamediens apparaissent non pas en tant que prophètes ou envoyés, mais bien en tant que saints. La sainteté mohamedienne ne cesse de se montrer à travers eux, alors qu’une partie de la communauté – en pensant bien faire – les traite d’innovateurs, d’égarés et autres appellations désobligeantes. Pourtant, c’est bien leur prophète ﷺ, sous sa réalité de saint, qui se manifeste dans les cœurs des saints de cette communauté. C’est lui qui leur inspire et leur enseigne leur science et leurs états. Il ﷺ a la main mise sur sa communauté, et l’éloignement ne fait pas partie de ses caractéristiques. Tout ce qui a semblé être dévoilé au fil des siècles, en matière de sciences, secrets spirituels et autres sagesses, que les textes du Coran et de la sunna renfermaient déjà de manière dissimulée, n’est que l’expression de la sainteté mohamedienne. C’est ainsi que nous apprenons de notre bien-aimé tant sa prophétie et son message que les différents aspects de sa sainteté, sans jamais parvenir à la cerner. Si la prophétie a été scellée, la sainteté elle ne le sera qu’à la fin des temps, et tout ce qui sera révélé d’elle revient entièrement au sayid des fils d’Adam, notre Prophète bien-aimé ﷺ.

Par le disciple Louis Amin.


[1] Rapporté par Abu Dawud.
[2] Rapporté par Ahmed.
[3] Rapporté par at-Tirmidhi, Hadith Hassan Sahih.
[4] Minah al-Quddusiya – Shaykh Ahmad al-‘Alawi.
[5] Coran : sourate 2 ; verset 257.
[6] Rapporté par al-Bukhari.