بسم الله الرحمن الرحيم
و الصلاة و السلام على أشرف المرسلين
و على اله و اصحابه أجمعين

Méprise ta personne et grandis celle d’autrui

« Méprise » c’est à dire, avilis, ne donne aucune importance, ne donne même pas d’existence à « ta personne » qui est tout ce qui te retient d’Allah, vers Allah, car tant que tu donneras existence à ta personne, tu seras éloigné de LUI. Et d’un autre côté « grandis », estime et jamais ne te sens supérieur  à « celle d’autrui », qui qu’elle soit, homme ou animal ou jinn, musulman ou non. Cette hikmah de sidi chaykh Muhammad Fawzi al Karkari est l’illustration de sa plongée dans la mer de la Haqiqah ainsi que des sens subtils qu’Allah lui a accordés. Cette parole pourrait résumer à elle seule le cheminement du murid tout au long de la voie vers Allah. Le fait de mépriser sa propre personne est le signe premier de l’entrée dans la voie du tassawuf. En effet, ne peut être murid que celui qui reconnaît implicitement et explicitement qu’il est rempli de défauts. Ainsi, il reconnaît son imperfection et accepte de les corriger en accompagnant un chaykh accompli qui aura transcendé les étapes de la voie vers Allah. Au contraire, celui qui croit être quelque chose, avoir de l’importance, se sent imbu de sa prière et de son jeûne, jamais ne se mettra entre les mains des gens d’Allah. Il aura ainsi nié la wasila qu’Allah a établie pour toute chose « O les croyants craignez Allah et cherchez vers Lui une wasila ». Pour aller vers Lui, Il a imposé la wasila qui est le chaykh. Et celui qui refuse de prendre cette wasila restera dans les ténèbres du nafs et du shirk caché. C’est pourquoi les gens du Qawm ont dit « celui qui n’a pas de chaykh, chaytan sera son chaykh » car il sera abandonné avec son chaytan et son nafs qui lui feront croire qu’il est sur quelque chose alors qu’ils sont eux les menteurs, qu’Allah nous en préserve. Sa seule wasila sera chaytan qui ne mène que vers la perdition et les ténèbres affreux de l’éloignement d’Allah. Alors que celui qui accepte de mépriser sa personne, reconnaît ses imperfections, fera le pas d’aller voir le chaykh, le docteur qui saura mettre dans son cœur la Lumière d’Allah et le guider des ténèbres vers la Lumière complète d’Allah.

En vérité, bien peu sont ceux qui acceptent cette démarche. Ne peuvent le faire et se rendre compte de sa réalité que les gens qui ont été plongés dans le péché et la désobéissance d’Allah. De ceux là, qui se croient déjà condamnés à l’enfer, n’ont plus aucun espoir dans leurs œuvres et ne se comptent même plus des musulmans, de ceux là, on peut apprendre le sens du istihqar, du mépris de sa personne. Et comme preuve de l’agrément d’Allah de leur mépris de leur personne, du fait de se considérer comme les pires de Ses créatures, Il a fait d’eux les gardiens de son Sirr et les dépositaires de Sa Lumière. Ainsi, a dit un de nos chuyukh « des gens du vol (lusus), ils sont devenus les gens de l’élite (khusus) ». Ceci est la réalité du mépris de sa personne à l’entrée de la voie du tassawuf. N’as-tu pas vu que n’ont suivi les prophètes, ‘alayhim as salam, que les pires rejetés de leur société ? Ainsi, ont dit les gens du peuple de Sayyidina Nuh, ‘alyhis salam « On ne voit te suivre que les plus méprisés d’entre nous, les hommes sans aucune intelligence ». En réalité, ne reconnaît la valeur du sauveur que celui qui est déjà perdu. Celui qui croit être sur quelque chose et espère en ses œuvres pour aller vers Allah aura été trompé et ne verra le sauveur qu’après que tous y aient accédé. Par contre, les premiers qui iront vers le chaykh accompli sont les méprisés de leur génération qui acquièrent ainsi les niveaux les plus hauts de la Haqiqah. Une fois seulement que les gens qui auront méprisé leur personne et auront été méprisés auront atteint ce qu’ils doivent atteindre, on verra les gens qui se considèrent comme les meilleurs accéder au chaykh. Ainsi, les chefs de Quraysh n’ont accepté l’Islam et la Connaissance d’Allah qu’après que leurs propres bergers aient atteint les plus hauts sommets de la Haqiqah. Le fait de mépriser sa personne ouvre la voie vers Allah alors que celui qui se sent imbu de sa prière, de son jeune ou de quoi que ce soit d’autre restera éloigné de la véritable Connaissance. Pour entrer dans le cercle d’Allah, il est nécessaire de se dépouiller de tout ce que l’on a œuvré ou connu.

Ô lecteur, regarde comment notre maître, le noble sayyid Abul Hassan ash Shadhili a été reçu par son maître, le chaykh de nos chuyukh, le qutb ibn Mashish ! Il lui ordonna de faire le ghusl, c’est à dire de se dépouiller de toute connaissance extérieure ou intérieure. C’est seulement à cette condition, de mépris de soi-même en se déclarant ignorant de tout, que le véritable murid peut profiter de son chayk et tirer de lui toutes les Lumières possibles. Mépriser sa personne est la condition  du Tawhid et quiconque croit qu’il est quelque chose, qu’il partage avec Allah son attribut du Wujud, celui là est en vérité dans le fin fond du shirk. Il aura mérité le défaut du kibr dont quiconque s’en vêtit autre qu’Allah ne saurait entrer au paradis. Dans le hadith « N’entrera pas au paradis celui qui a un grain de moutarde de kibr dans le coeur ». Interrogé sur ce qu’était le kibr, le prophète, ‘alayhis salatu was salam dit « C’est refuser le Vrai », c’est à dire refuser qu’Allah est le Vrai et qu’Il a à lui Seul l’attribut du Wujud, vouloir ainsi se disputer avec Lui ses Attributs et donc se prétendre soi-même être une divinité ; et « mépriser les gens » c’est à dire refuser de voir dans les créatures les reflets de la Réalité d’Allah et mépriser donc les manifestations de l’Unique, le Dominateur Puissant.  Refuser de mépriser sa personne implique donc de disputer avec Allah son Huwiyyah et faire comme Pharaon qui proclama « je suis votre Seigneur le Très-Haut ». En vérité, celui ci sera au fin fond de l’enfer et nul ne pourra le secourir pour avoir voulu s’associer à la divinité d’Allah et à ses Attributs. Même chaytan reconnut la Toute-Puissance d’Allah et son Unicité dans ses attributs et disant « Par ta Puissance, je les perdrai tous ». Alors que Pharaon et l’homme du kibr ont voulu s’associer à Allah dans son Unicité Absolue. Mépriser sa personne veut dire donc, nier pour soi tout attribut qui revient au Divin. Et le premier de ces attributs est le Wujud, que les gens du Kalam ont placé comme premier attribut obligatoire. Mépriser sa personne veut dire nier pour soi l’Existence et accepter que n’a d’Existence véritable qu’Allah lui-Seul, le Vivant, le Qayyum. Dans le hadith « nul ne fait preuve d’humilité sans qu’Allah ne le fasse monter en degrés ». Il y a ici indication du fait que le mépris de sa personne, dans sa réalité, fait monter les degrés spirituels. Et plus le mépris de sa personne est grand, plus sera grand le degré de la personne.

Notre chaykh sidi Muhammad Fawzi est la preuve de cela. Il n’a échappé à personne qu’il passa une dizaine d’années à parcourir les routes du Maroc et à dormir là où le sommeil le prenait (voir sa biographie). Un faqir lui demanda comment il faisait pour n’avoir pas froid alors qu’il dormait à la belle étoile. Il dit « je faisais continuellement du zikr le matin et quand arrivait la nuit, c’est mon cœur qui dégageait de la chaleur à cause de ce zikr et je n’avais pas froid ». Aussi, il nous dit « il m’arrivait de penser à une chose et Allah réalisait cette chose pour moi ». Or, ne peut avoir ce genre de prodiges qu’un homme pieux, un salih qui a atteint l’agrément d’Allah. Pourtant, sidi chaykh Muhammad Fawzi nous rapporte qu’en allant voir son chaykh après ces dix années de pérégrinations, son seul objectif était le repentir vers Allah. De sorte que, quand il fut dans la khulwah hassanienne bénie, au lieu de faire le zikr du Ism al mufrad, il fit le istighfar jusqu’à ce qu’Allah lui fasse voir, écrit en lettres d’or « je t’ai effectivement pardonné ». Regardez comment il a méprisé sa personne ! Alors qu’il avait déjà atteint le degré de la sainteté, sa seule préoccupation fut le repentir. C’est donc par ce mépris de sa personne qu’Allah lui fit atteindre les stations les plus hautes de la qutbiyyah et de la khatmiyyah. Mépriser sa personne ne peut que s’accompagner du fait de grandir celle d’autrui. En effet, si on nie sa propre existence, force est de reconnaître que le reste des créatures est le reflet de l’Omnipotence d’Allah et de Sa Réalité. Ainsi, il est obligatoire de considérer chaque manifestation d’Allah dans ses créatures et de leur donner le ta’dhim qui convient. En effet, dans chaque créature, le murid ne doit voir que le reflet de la Lumière d’Allah qui dit « Allah est la Lumière des cieux et de la terre ». Tout ce qui existe est produit de cette Lumière divine. Le murid, doit donner son importance à chaque créature, ne voyant en elle que les reflets de la Lumière.

Ainsi, le chaykh de nos chuyukh, sidi Ahmed al ‘Alawi dit

Nous ne voyons dans le monde
ainsi que dans nous même

si ce n’est l’Essence du Tout-Miséricordieux
dont notre œil se réjouit

Il dit aussi :

Allah était  Seul et rien n’était en dehors de Lui
et Il reste en dernier comme Il était en premier

Il est Seul dans son Essence et rien d’autre que Lui
Caché, Apparent, Eternel et ne cesse d’être

Quoi que tu vois, tu vois Son Existence
Et dans le Tawhid Absolu, il n’y a rien que Lui !

Comment donc cacherait l’Essence d’Allah un voile
Sinon que ce voile serait sa Lumière manifestée !

Ainsi, le murid ne doit voir dans les créatures que la manifestation de cette Lumière. Et donner considération aux manifestations de la Lumière, c’est donner considération à leur Source même qui est Allah, la Lumière des cieux et de la terre. Comme il est dit dans le hadith « celui qui ne remercie pas les gens ne remercie pas Allah ». C’est par la considération pour les créatures que le murid parvient à la considération pour Allah. En vérité, le musulman doit considérer toute créature meilleure que lui. Comment donc pourrait-on se considérer meilleur alors que son prochain est le reflet de la Réallité d’Allah ? C’est pourquoi il doit grandir la personne d’autrui. Unis dans l’Existence d’Allah, il ne saurait voir dans les autres créatures un défaut ou quoi que ce soit qui pourrait les déprécier à ses yeux. Au contraire, il lui est obligatoire de voir dans ces créatures les qualités qu’Allah leur a accordées. Ainsi, il est rapporté que sayyiduna ‘Isa ‘alayhis salatu was salam passa devant un chien mort avec ses compagnons. Ceux ci se mirent à se boucher le nez à cause de la mauvaise odeur. Sayyiduna ‘Isa, rempli de la Lumière d’Allah et ne voyant qu’elle partout, dit plutôt « quelles dents blanches il a ! ». De même, l’imam al Qurtubi passa dans une ruelle d’où dégoulinaient sur le côté les eaux sales. A sons sens opposé venait un chien. L’imam se colla d’abord au mur puis se mit sur le bas-côté, dans les eaux sales, pour que le chien puisse passer sur le côté élevé. Pourtant, il se mit à pleurer et un homme qui passait, étonné par son geste, lui demanda pourquoi il pleurait « Quand je m’apprêtai à laisser passer le chien, je me suis rendu compte que le mur auquel je me collais se trouvait sur la partie haute du chemin, et j’ai alors pensé que c’était me placer plus haut que lui, alors qu’il vaut mieux que moi et qu’il est bien plus digne d’être honoré. Car en effet, j’ai désobéi à Allah et suis couvert de péchés, ce qui n’est pas son cas. Voilà pourquoi je suis passé sur le bas-côté, mais maintenant j’ai peur d’avoir provoqué la colère d’Allâh pour m’être élevé au-dessus d’un être qui vaut mieux que moi. Pourvu qu’Il me pardonne ! ».

Tel est le adab d’un savant avec un chien. Le adab du murid avec les autres hommes, qu’Allah a choisis comme khalif sur terre, doit donc être encore plus élevé. O murid, tu dois faire montre de ta’dhim envers toutes les créatures, juifs, chrétiens, majus, chiens et porcs sans aucune distinction. Ne vois-tu pas que ceci est la sunna du meilleur des créatures ? Il dit à ses compagnons « vous ne croirez que si vous êtes miséricordieux ». Les compagnons répondirent « mais nous sommes tous miséricordieux ». Il leur dit « vous êtes miséricordieux entre vous. Ce que je vous demande, c’est d’être miséricordieux avec toutes les créatures ». Voilà certes la voie de la vérité ! Ni le juif, ni le chrétien n’est ton ennemi. Ton ennemi est ton nafs qui te tiraille dans ton cœur. Si tu dois ressentir quelque inimité, tu devras l’orienter vers ce nafs qui t’éloigne de la connaissance d’Allah et le pousse à Lui désobéir. Montre le ta’dhim à toutes les créatures et sois humble avec elles. Ainsi, tu pourras acquérir les qualités qui te rapprocheront du maître des deux mondes.Nous demandons à Allah d’effacer en nous tout mépris pour Ses créatures et de nous rapprocher du comportement du meilleur de Ses créatures.

Qu’Allah prie et envoie Son salut sur notre maître Muhammad, l’ouvreur de ce qui était fermé et le sceau de ce qui précède, ainsi que sur ses compagnons et sa famille, en particulier sur son fils sidi Muhammad Fawzi, héritier de l’arbre béni.


Auteur: Le faqir sidi Mouhammadou Ndiaye.