بسم الله الرحمن الرحيم
و الصلاة و السلام على أشرف المرسلين
و على اله و اصحابه أجمعين

La Tariqa Karkariya est certainement la Voie qui a ouvert la prédication soufie sur internet et particulièrement sur les réseaux sociaux. Avant son apparition et son grand travail quotidien de partage, les soufis étaient pour la plupart réticents à une grande médiatisation de la Voie et des pratiques de ses adeptes, voire même des enseignements des Shuyukh. Tout était mystifié, même les adhkar – formules de dhikr – connus et répétés depuis des générations – provenant du Coran et de la Sunna – étaient considérés comme à cacher de la masse des gens. Si certains demeurent encore attachés à ces idées, beaucoup ont compris l’opportunité qu’offrait la diffusion de la spiritualité sur les réseaux sociaux, non pas pour des raisons de profit organisationnel, mais pour le profit des adeptes et futurs adeptes eux-mêmes.

L’apparition du Shaykh et ses modalités sont sujettes à discussion, ou tout au moins à des réactions diverses selon les perceptions de chacun. C’est pourquoi nous allons tenter d’analyser ce qui apparaît, pour mieux comprendre ce qui se cache derrière. Le Shaykh Sidi Mohamed Faouzi Al Karkari – qu’Allah sanctifie son secret – apparaît beaucoup sur les réseaux sociaux, à travers divers supports, notamment photos et vidéos. Ce qui aujourd’hui semble normal pour beaucoup d’entre nous reste encore problématique pour d’autres. Et il y a une dizaine d’année tout juste, il était inconcevable de voir un tel flot d’images, de vidéos et d’informations provenant d’un Shaykh d’éducation spirituelle et des disciples de sa Voie. Ce que nous allons tenter d’exposer, ce sont les multiples facteurs qui mènent à une telle apparition et qui semble en troubler plus d’un.

Tout d’abord, partons des postulats de ceux qui sont dérangés, et notre but n’est pas de les convaincre, mais d’expliquer un phénomène afin que soient clarifiées les choses dans l’esprit de ceux qui veulent comprendre. Les gens méconnaissent le Saint, les Prophètes et Messagers, pour la simple et bonne raison que pour les « connaître », faut-il encore les avoir fréquentés ! Avoir lu leurs histoires, étudié leurs vies, paroles et actes ne fait pas de nous des connaisseurs des Saints ou Prophètes. Si ces lectures ne suffisent pas toujours pour connaître ou reconnaître un porteur de sainteté à son époque, les mécanismes qui animent ceux qui appellent à Allah ﷻ restent les mêmes et une compréhension profonde de ces mécanismes permet de comprendre le pourquoi et le comment d’une apparition à une époque donnée. La plupart des musulmans ayant connaissance de la sainteté (wilaya) ne s’en préoccupent pas, ceux-là n’ont même pas d’avis, ou leur avis ne mérite pas qu’on en fasse cas. Mais pour la minorité de musulmans reconnaissant la valeur et la hauteur des Saints (awliya), leur vision est souvent davantage corrélée à leur imagination plutôt qu’à la réalité, et on en vient à des barrières psychologiques qui deviennent de véritables entraves au cheminement. Ils se disent par exemple « un Shaykh doit être discret », « un Shaykh ne se fait pas prendre en photo », « un Shaykh ne cherche pas à être connu », « un Shaykh ne fait pas du dhikr filmé en direct (ce serait de l’ostentation) », etc. Ces assertions sont audibles et peuvent être facilement comprises, car cette image de ce que devrait être le Shaykh d’éducation spirituelle est répandue. Elle est néanmoins totalement faussée dans une époque comme la nôtre.

L’époque 

Nos temps sont particuliers, et pourtant, ils sont – comme toutes les époques – la répétition de cycles déjà passés. Ce qui s’y passe est différent, mais peut être compris à travers des éléments d’avant, si on a l’intelligence de transposer ces éléments tout en transposant l’environnement qui lui est nouveau. La répétition d’un acte dans cette époque ne prendra de fait pas la même forme que ce qui s’est produit il y a fort longtemps. Notre époque est ultra-rapide, ultra-connectée, une époque où tout doit aller vite, et où la masse d’information a atteint un degré jamais vu. L’apparition d’Internet, des smartphones et des réseaux sociaux fait que chaque être humain est baigné dans un flux ininterrompu d’informations. Inutile de dire que la place du spirituel en tout cela est presque complètement inexistante, et que c’est bien dans un océan de matérialité illusoire que nagent les Hommes. Si la course aux richesses distrait toujours certains, comme mentionné dans le Coran : « La course aux richesses vous distrait, jusqu’à ce que vous visitiez les tombes »[1], la vague de distractions provenant des différents médias nous absorbent tous complètement. Les smartphones ont remplacé les chapelets, même dans la main des pieux. Rares sont encore ceux que l’on observe un chapelet à la main, avec un livre ou encore à lire le Coran entre deux occupations. Mais n’ayons crainte, dans une telle époque, nul doute que Dieu ira chercher ses serviteurs là où ils se trouvent, comme ce fut le cas à chaque temps dans ce bas-monde.

Une prédication connectée 

Pour que la prédication touche le plus de monde possible, il a fallu qu’elle soit adaptée au nouveau monde. Là où avant il fallait aller appeler à Allah ﷻ autour de la Ka’ba – où étaient réunies les différentes tribus de la Mecque et où les voyageurs de passage étaient le plus nombreux -, il faut maintenant acter sa présence là où tout le monde se réunit : internet et plus particulièrement sur les réseaux sociaux. Une fois sur les réseaux, encore faut-il avoir du contenu à partager, et c’est là que nous voyons la différence entre une Voie qui vit et une voie qui est morte. Lorsqu’un Shaykh vivant enseigne à ses nombreux disciples, il y a un flux constant d’informations à partager, de moments, d’images, de vidéos. Les choses bougent et sont vivantes, et cette vie se transmet en partie à travers les médias sociaux. Les disciples du monde entier, et ceux qui ont l’habitude de suivre les pages de la Tariqa, tirent un réel bénéfice spirituel de cette forte présence. Lorsque le disciple prend son smartphone et qu’il tombe sur le dernier cours de son Shaykh, sur ses photos du jour et sur les vidéos des disciples, cela n’a évidemment pas le même impact sur lui que s’il ouvre son smartphone pour regarder des choses relevant de l’insouciance spirituelle et de la mondanité. Il y a donc un double intérêt à la forte présence à travers des supports multiples sur les réseaux sociaux : pour les disciples et suiveurs réguliers ; pour les gens en quête, qu’ils le savent ou pas encore. Il y a d’ailleurs certaines personnes qui suivaient la Voie sur les réseaux, de manière plus ou moins assidue, et qui ont mis du temps à rejoindre le Shaykh, mais cette présence virtuelle était déjà, sans même qu’ils s’en rendent compte, un pas d’Allah ﷻ vers eux. Certains étaient même de virulents opposants sur les réseaux sociaux, des curieux sans bonnes intentions ou des consommateurs sans intention particulière. Nous retrouvons tous les profils parmi les actuels disciples, mais la place de la prédication connectée et ses fruits ne sont plus à prouver : Allah ﷻ est venu chercher ses serviteurs au sein même de la virtualité que l’Homme a inventée. Le sot est celui qui croit que le domaine de Dieu est trop noble pour être ramené dans le virtuel : tout ce qu’Il a créé et que l’Homme pense avoir inventé est de Son Royaume et Il est le seul Roi de Son Royaume. Nul doute que Dieu ait voulu que le Saint de son époque et la Voie Blanche à laquelle il appelle apparaissent au monde entier via les médias sociaux.

Pourquoi les photos du Shaykh et les vidéos de dhikr ?

L’image du Saint n’est pas un simple contenu pour animer les réseaux sociaux. Elle est un véritable don de Dieu, un cours pour qui sait regarder et un message d’amour pour qui sait aimer. Le Saint n’apparaît pas pour montrer sa corporalité comme le feraient les gens de l’insouciance aimant se montrer beaux, sous leurs meilleurs angles, pour des raisons tout à fait futiles. Le Saint quant à lui n’est pas dans la futilité, la photo qui est postée est porteuse de messages, de secrets spirituels et sont un élément de sa sira. On parle souvent – et cela à raison – de la sira nabawiya, la vie du dernier des Prophètes ﷺ, et nous nous inspirons de cette dernière, à travers ses nombreux enseignements. Nous avons les textes, des paroles et les commentaires des savants. Mais nous n’avons ni les photos ni les vidéos de ces instants, cela n’existait évidemment pas. Lorsque le Saint prend un instant de sa vie en photo, c’est un cadeau fait à qui veut connaître Allah ﷻ. Sa posture, son regard, son expression, ses vêtements, son environnement : tout cela nous permet de mieux comprendre ce qu’Allah ﷻ veut de nous.

Une image vaut mille mots

Cette phrase « une image vaut mille mots », attribuée à Confucius, est tout à fait vraie. Son impact sur l’Homme est vérifié, car les statistiques prouvent que sur les réseaux une image touche beaucoup plus qu’un texte et une vidéo touche beaucoup plus qu’une simple image. Dans la spiritualité, cela est aussi valable, tant dans le domaine de la vision spirituelle – dans le malakut – que dans le regard vers le Saint : voir est porteur d’une multitude de fruits. Entendre un discours peut réveiller, faire comprendre, et cela est évidemment une des bases du cheminement spirituel. On écoute ce que le Shaykh dit, mais le voir est aussi un cours. Le voir pendant qu’il fait un cours, c’est un cours dans un cours, un enseignement singulier dans un ensemble d’enseignements. Les soufis savent l’importance de la vision, tant du disciple sur son Shaykh que du Shaykh sur son disciple. Et d’ailleurs, même les savants musulmans savent à quel point celui qui a vu et rencontré n’est pas comme celui qui a été informé, même s’il a suivi de loin. Le compagnon du Prophète ﷺ à titre d’exemple n’est nullement comparable à celui qui ne l’a jamais vu, même si ce dernier a suivi l’islam. Et on ne parle pas là au niveau de la science et du savoir. Le musulman qui a entrevu le Prophète ﷺ de son vivant et qui a ensuite cru en lui est meilleur que n’importe quel savant venu après, même si ce compagnon était ignorant en apparence. Son ignorance des textes est entièrement compensée par sa connaissance du Prophète ﷺ, et on parle ici d’une connaissance visuelle, d’expérience personnelle. La photo du Shaykh est donc pour le disciple actuel un moyen de rencontre, et pour le futur disciple un moyen de commencer à rencontrer son futur Shaykh. La photo du Shaykh est une émanation de lui-même envoyé vers l’autre. Le Shaykh est la source de la Lumière divine sur terre, et son image est la manifestation actuelle la plus proche de la Lumière divine. Le regarder n’est pas comme regarder n’importe qui. Une parole véridique répétée souvent enseigne que regarder le visage du Saint est comparable à 70 ans d’adorations. La vision du Shaykh est ainsi pour le disciple une adoration, et la vision du Shaykh sur le disciple est une éducation. C’est al-Shadhili – qu’Allah sanctifie son secret – qui disait que les Shuyukh étaient comme les tortues : ils éduquent leurs disciples par le regard. Nombreux disciples comprennent et voient les ouvertures spirituelles à la vue de leur Shaykh, et cela n’a rien d’étonnant, car dans le monde des corps matériels, il est la porte menant au monde spirituel.

Quant aux vidéos de dhikr, elles entrent totalement dans la meilleure utilisation qui puisse être faite des nouvelles technologies comme le direct (vidéo en live). Il suffit maintenant d’une connexion et d’un compte sur un réseau social pour se mettre en direct face à la terre entière. Ce privilège était avant accordé seulement aux grands médias télévisés, mais maintenant, tout le monde y a accès. Evidemment, qui dit élargissement d’une technologie dit mauvaise utilisation de cette dernière. Les gens font maintenant des lives pour tout et n’importe quoi. Certains en ont évidemment une utilisation sérieuse, bien que mondaine, alors que d’autres s’en servent pour faire tout bonnement n’importe quoi – comme parler de futilités avec leur audience durant des heures. Mais rappelons-nous, quelle est donc la meilleure activité de l’Homme ? Pourquoi a-t-il été créé ? Pour partager des informations sur ce qui se passe dans le monde, pour débattre de politique, pour suivre des compétitions sportives ? Ou alors pour adorer Allah ﷻ et faire son dhikr en abondance ?! Voilà donc qui devrait nous faire réfléchir, et particulièrement ceux qui mettent des barrières là où Allah ﷻ a ouvert les portes. La maladie de l’ostentation, qui pourrit nos cœurs, nous voile de ce qu’est la véritable ostentation. Il n’y a pas plus de risque d’ostentation seul dans sa chambre à faire du dhikr qu’en live face à des milliers de personnes. Il suffit d’une seule personne pour tomber de l’ostentation : soi-même ! C’est envers soi-même qu’on est ostentatoire, pas envers les autres. Lorsque le prieur prie avec ostentation pour montrer aux gens, ce n’est pas pour les gens qu’il le fait, c’est pour lui-même ! Il donne à son âme une nourriture et les gens spectateurs de sa prière ne sont qu’un moyen pour y parvenir. Si le même prieur s’était retrouvé seul chez lui, il aurait pu avoir la même ostentation, en cherchant à se prouver à lui-même qu’il œuvre pour Dieu, en allant dévoiler ses nombreuses prières à ses proches…ou par tout autre moyen. L’ostentation n’est pas dans le moyen, mais bien dans l’intention de l’acte en lui-même. Arrêter d’agir ou limiter ses agissements par peur d’ostentation est la meilleure manière pour ne jamais en guérir. Se montrer devant les gens est au contraire pour le disciple une excellente manière de se détacher de l’importance de leur regard sur lui, et pour le Shaykh un excellent moyen de montrer ce qu’Allah ﷻ attend de ses serviteurs. L’apparition du Shaykh en direct faisant du dhikr est un rappel pour ceux qui veulent s’éveiller, une invitation pour ceux qui veulent suivre et un excellent moyen de partager le meilleur. Il fut, en effet, demandé au Prophète ﷺ quelle était la meilleure œuvre et il ﷺ répondit : le dhikr d’Allah ﷻ ! Il est donc normal que l’Homme du temps fasse apparaître au grand jour le dhikr d’Allah ﷻ avec les moyens de son époque.

Parallèle avec les temps prophétiques 

Les prophètes ont toujours défié les gens de leur époque selon leurs particularités. Moussa – paix sur lui – a subjugué les sorciers de son temps comme nous l’informe Allah ﷻ dans le Coran. Lorsqu’Allah ﷻ rendit vaine leur magie face à Sa Puissance transformant le bâton de Moussa en serpent, ils tombèrent prosternés. De même à l’époque du Prophète Muhammad ﷺ, les arabes étaient versés dans la poésie et imprégnés de l’amour de leur langue. Le Coran est venu les chercher sur leur terrain. Comme Moussa est venu chercher le peuple d’Egypte sur son terrain, peuple qui à cette époque avait élevé les sorciers. Nous avons donc aujourd’hui une aire numérique, ou la réalité numérique prend toujours plus d’ampleur, au point où ce monde va devenir un véritable univers parallèle dans lequel certains évoluent d’une manière virtuelle, mais qui a une incidence sur leur vie réelle. Le réel est le virtuel se confondent, et le Shaykh de l’époque vient rappeler la véritable Réalité au-dessus du monde réel – qui lui-même est illusoire – et du virtuel qui est l’illusion de l’illusion. Quelle que soit la couche d’illusions que voudra se rajouter la nafs humaine, Allah ﷻ y enverra un appel pour que le chemin inverse, celui de l’irréel vers le Vrai, puisse être fait, au lieu de s’enfoncer toujours plus loin dans le faux.

Voilà donc le travail de la Tariqa Karkariya sur les réseaux sociaux.


[1] Sourate at-Takathur ; versets 1 et 2.