بسم الله الرحمن الرحيم
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Le Savoir

Sayidi ibn ‘Achir (radiAllâhu ‘anhu) dit dans son célèbre poème :

Et la première obligation incombant à toute personne responsable,
c’est de Connaître le Vrai et les Messagers

La première des obligations incombant à l’individu ayant atteint l’âge de raison, c’est la Connaissance d’Allâh et de Son Messager ﷺ, ou dit autrement : la Connaissance du double témoignage (chahâda), d’un Savoir profond et véritable. La porte d’entrée vers la religion d’Allâh est donc ce double témoignage. Et la porte de sortie de ce bas-monde vers la religion d’Allâh, c’est ce double témoignage.

Le Savoir est la réalité de ce qui constitue le fondement de la crainte révérencielle, laquelle constitue la monture théophanique et l’objet de contemplation des Savants ésotériques. Allâh ﷻ dit : « Parmi Ses serviteurs, seuls les Savants craignent Allâh. Allâh est, certes, Puissant et Pardonneur. » [1]. Considère donc, qu’Allâh te fasse miséricorde, comme le Vrai a associé le Savoir à la crainte (khachya) divine, afin de nous indiquer le lien unissant ces deux stations spirituelles. Ainsi donc, celui dont la Connaissance d’Allâh augmentera, sa crainte de Lui augmentera aussi. En ce sens, on retrouve une parole authentique rapportée du maître de la création ﷺ : « Par Allâh, je suis d’entre eux le plus Savant par Allâh, et celui qui Le craint le plus. »

La première marque de crainte révérencielle se manifestant chez le serviteur, c’est d’une part le fait de considérer autrui d’une vision le grandissant, contemplant le flux spirituel divin circulant en lui… et d’autre part, le fait de rabaisser et avilir son égo, en veillant à toujours se conformer à la Loi divine et en demeurant constamment dans un état nourri de crainte. Ceci est l’état des Connaissants (‘arifin) parfaitement réalisés, car il s’agit là de la monture céleste (Bourâq) vers la Connaissance divine, oscillant subtilement entre le degré de la représentation imaginative et celui de la théophanie gnostique.

Et dans al-Bahr al-Madîd :
« Al-Rabî’ ibn Anas dit : celui qui ne craint pas Allâh n’est pas un Savant. Quant à ibn ‘Abbâs, il dit dans l’exégèse de ce verset : L’ascétisme suffit comme savoir. Et ibn Mas’oûd dit : la crainte d’Allâh suffit comme savoir, et les excuses suffisent comme ignorance. Et dans les Hikam : « La meilleure des sciences, c’est celle qui est accompagnée de crainte. Et dans at-Tanwîr : Sache que, où qu’elle soit mentionnée dans le Livre ou dans la Sunna, le savoir (‘ilm) renvoie au savoir bénéfique, celui qui est accompagné de crainte, cerné par l’inquiétude. Allâh ﷻ dit : « Parmi Ses serviteurs, seuls les Savants craignent Allâh ». Il nous indique ici, ﷻ, que la crainte est nécessairement accompagnée de Savoir, et on comprend de cela que les Savants sont en réalité les gens de la crainte révérencielle.
Le Shaykh ibn ‘Abbâd (radiAllâhu ‘anhu) dit : Et sache que le Savoir bénéfique, au sujet duquel il y a l’unanimité aussi bien au sein des premières générations que chez celles qui les suivirent, c’est le Savoir qui mène son détenteur à la crainte et à la peur, le Savoir qui l’astreint à l’humilité et à l’avilissement de soi, à la conformité aux caractères de la foi… ainsi que d’autre part, au rejet de ce bas-monde et à l’ascétisme, lui faisant préférer l’au-delà, et tout ceci en se conformant à la bienséance requise vis-à-vis d’Allâh ﷻ, ainsi que toutes les autres nobles caractéristiques de la Sunna.

Et dans Latâ’if al-Minan : L’indice du Savoir demandé par Allâh ﷻ, c’est la crainte. Et l’indice de la crainte, c’est la conformité du serviteur à ce qui lui est ordonné. Quant à la connaissance qui serait accompagnée de désir de ce bas-monde, de déférence envers les gens qui en possèdent la plus grande part, et de volonté de s’employer à les imiter, à amasser, thésauriser, sans jamais se soucier des conséquences, en oubliant l’au-delà… il n’est pas de connaissance plus éloignée que celle-ci de ce que l’on désigne comme étant l’héritage des Prophètes !

L’héritage pourrait-il revenir à l’héritier sans que celui-ci ne se conforme pleinement à la description de celui dont il hérite ? Un exemple de celui d’entre les Savants dont la description est celle-ci est à l’image de la bougie : elle éclaire autrui, mais se brûle elle-même. Allâh fit du savoir enseigné à une telle personne une preuve (hujja) contre lui et une cause d’augmentation de son châtiment.

Dans le verset (« Parmi Ses serviteurs, seuls les Savants craignent Allâh ») (dans le verset en arabe), la mention du Nom d’Allâh ﷻ précède celle des Savants, et en cela se trouve une indication du fait que seuls les Savants, et uniquement les Savants, craignent véritablement Allâh. Si le verset avait été formulé différemment (en faisant précéder la mention des Savants à celle du Nom divin), alors le sens aurait été que les Savants ne craignent que Allâh.
Et dans un Hadîth Prophétique : « Au Jour du Jugement, Allâh s’adressera aux Savants, lorsqu’Il prendra place (litt : s’assoira) sur Son Kursi afin de trancher dans le jugement de Ses serviteurs : Je n’ai certes placé en vous Mon Savoir et Mon Discernement que parce que Je veux vous pardonner pour ce qu’il y a en vous, et peu m’en importe. »

Al-Mundhiriy dit : considère donc la Parole divine : « Mon Savoir et Mon Discernement » : il est clair et évident qu’il ne s’agit pas ici du savoir commun à la majorité des gens de cette époque dénuée de Savoir par Lui et de sincérité (ikhlâs)…
Et dans une autre version de ce Hadîth : « Je n’ai certes placé en vous Ma Sagesse que pour un bien que Je veux pour vous : entrez donc au Paradis, malgré ce qu’il y a en vous. »
Et il dit également ﷺ : « Au Jour du Jugement, l’encre des Savants sera pesée, ainsi que le sang des martyrs, mais c’est l’encre des Savants qui prévaudra sur le sang des martyrs. »

Indication ésotérique :
Les Savants sont à considérer en deux groupes bien distincts. D’une part les Savants des Lois d’Allâh, et d’autre part les Savants par Allâh. Les Savants des Lois d’Allâh craignent Sa colère et Son châtiment, tandis que les Savants par Allâh craignent Son éloignement et le fait d’être voilés de Lui. Les Savants des Lois craignent de commettre des péchés, tandis que les Savants par Allâh craignent de manquer de bienséance dans la Présence du Souverain Suprême. La crainte des Savants par Allâh est donc plus dense et plus forte. Ils prennent leur Savoir d’Allâh, à la différence des Savants des Lois qui prennent leur Savoir des morts.
Le Shaykh Abou Yazîd (radiAllâhu ‘anhu) dit ainsi au sujet des Savants par chaîne de transmission (riwâyah) : Ce sont de pauvres gens dont le Savoir se prend de mort en mort. Quant à nous, nous tirons notre Savoir du Vivant qui ne meurt pas.
Quant à la différence entre les termes « khawf », « rahba » et « khachya » : Khawf désigne la crainte du châtiment, rahba la crainte du blâme, et khachya [2] la crainte de l’éloignement.

Al-Quchayriy dit : La différence entre les termes « rahba » et « khachya », c’est que le premier renvoie à une peur qui force celui qui en est affecté à prendre la fuite, et c’est alors la débandade. Quant à la khachya, elle a au contraire pour effet de freiner et réprimer celui qui en est touché, et c’est ainsi qu’il demeure avec Allâh. La khachya prévaut donc sur la rahba.
Le terme « khawf » relève de la foi (imân). Allâh ﷻ dit en effet : « Et craignez-Moi (khawf) si vous êtes croyants ». Le terme « khachya » relève quant à lui du Savoir et de la Prestance divine.
Le Savant exotérique craint (khawf) de faillir dans le droit que son Seigneur a sur lui, tandis que le gnostique craint (khachya) de contrevenir à la bienséance et au respect qu’il se doit d’observer envers Lui ; il redoute de se laisser aller au moment inapproprié, au travers d’un mot déplacé, ou en négligeant l’accomplissement de ce qui est prioritaire.

Al-Wartajabiy dit : le terme « khawf » est propre au commun des gens, tandis que « khachya » correspond à l’élite. Et Il ﷻ a certes fait que la khachya soit accompagnée de Savoir (‘ilm), c’est-à-dire le Savoir par Allâh ﷻ, lié à Son Omnipotence, à sa Seigneurie et à la servitude qui Lui est voué. La réalité de la khachya, c’est la descente de l’ennoblissement du Vrai dans le cœur des gnostiques (‘arifin), mêlé à la chatoyance de la Magnificence divine, à la vision de Son Orgueil et de Sa Majesté. Mais ne parvient à cela que celui qui atteint la contemplation du prééternel et incréé, de la persistance et de l’éternité. Et celui dont le Savoir par Allâh augmentera, sa khachya augmentera elle aussi, conformément à la Parole Prophétique ﷺ : « Je suis d’entre vous le plus Savant par Allâh, et celui qui Le craint (khachya) le plus. » et dans un autre Hadîth : « Il fut dit : Ô Messager d’Allâh, quelle est la meilleure des œuvres ? Il répondit : Le Savoir (al-‘ilm). On demanda : Quel Savoir ? Il dit : Le Savoir par Allâh, subhânah. » [3].

Et dans les Hikam : « Le Savoir bénéfique est celui dont les rayons se répandent dans la poitrine, et par lequel le voile du cœur est levé. » Le Savoir (al-‘ilm) est donc constitué de rayons de gnose (‘irfân), et dès lors que ses Lumières se répandent dans le cœur, elles ôtent les voiles de l’autrui et de la dualité. Les ténèbres du monde créé s’estompent, et apparaissent alors les Attributs du Créateur. Ses Lumières se ramifient dans le cœur, et c’est là ce que l’on désigne comme étant le Savoir bénéfique : la contemplation de la Lumière d’Allâh et de Son Messager ﷺ.

Le Vrai S’est effectivement décrit Lui-même comme étant Lumière, exalté soit-Il : « Allâh est la Lumière des cieux et de la terre. Un exemple de Sa Lumière est semblable à une Niche (mishkâte) dans laquelle se trouve une Lampe (misbâh). La Lampe est dans un Cristal (zujâjah), et le Cristal ressemble à un Astre (kawkab) de grand éclat. Son combustible provient d’un Arbre Béni, un Olivier ni oriental ni occidental, dont l’huile semblerait éclairer sans même que le feu ne la touche. Lumière sur Lumière. Allâh guide vers Sa Lumière qui Il veut, Il donne des exemples concrets aux gens, et Allâh est Savant de toute chose. » [4].

Et Il décrivit Son Prophète comme étant un flambeau illuminant, disant en ces termes : « Ô Prophète ! Nous t’avons envoyé en tant que témoin, annonciateur, avertisseur, appelant à Allâh, par Sa permission, et comme un flambeau illuminant. » [5].
La réalité du Savoir (al-‘ilm) n’est donc autre que l’embellissement par la Lumière de la Présence Seigneuriale, se manifestant sous l’apparence de la Lampe (misbâh) du Savoir, dans le Cristal (zujâjah) de notre maître le Messager d’Allâh ﷺ, apparent par la Niche (mishkâte) de la révélation intérieure et occultée, par l’Astre (kawkab) de l’Union au sein de la nuit préservant le Secret… une Lumière dont le combustible provient de l’Arbre du Secret, exempt et transcendant toute dimension spatiale.

Et qu’Allâh récompense à juste titre al-Shâfi’iy (rahimahullâh), qui dit sous forme de poème :

Je me suis plaint à Wakî’ de ma mauvaise mémoire
Et il m’enjoignit à délaisser les péchés

M’informant que le Savoir est Lumière
et que la Lumière d’Allâh n’est pas offerte au pécheur.

Le Savoir (al-‘ilm) est donc Lumière, et non pas une suite de lignes écrites. C’est une Lumière par laquelle on comprend, intérieurement et ésotériquement, ce que Allâh veut pour toute chose. Il s’agit d’une Eau sanctifiée, descendue depuis les cieux de l’inconnaissable (ghayb) vers les terres que sont les cœurs des croyants.

Le Prophète ﷺ dit ainsi : « L’exemple de ce avec quoi Allâh –‘azza wa jall- m’a suscité en terme de Guidée et de Savoir, est à l’image d’une pluie abondante qui toucherait une terre dont une partie serait bonne et apte à recevoir cette eau, et à la surface de laquelle pousseraient des pâturages et des herbes en abondance. Une autre partie (de cette terre) serait imperméable et retiendrait l’eau, de sorte que Allâh en fasse profiter les gens, qu’ils en boivent, abreuvent (leurs troupeaux) et cultivent (leurs champs). (Cette pluie abondante) toucherait par ailleurs une autre partie de terre, aride, qui ne garde pas l’eau et ne fait pousser aucune herbe.
Tel est l’exemple, d’une part, de celui qui a appris la religion d’Allâh et qui a profité de ce avec quoi je fus suscité, en l’étudiant et en l’enseignant, et d’autre part de celui qui n’a profité en rien de cela et qui n’a pas accepté la Guidée d’Allâh avec laquelle je fus envoyé. » 
[6]

Considère donc, qu’Allâh te fasse miséricorde, la manière avec laquelle celui qui ne prononce rien sous l’effet de la passion a fait des gens des Lumières les véritables Savants. Ils sont le premier groupe (de la première terre), les détenteurs de la réalité du Savoir. Quant au second groupe, ils ne détiennent que la forme et l’apparence du Savoir. Et en dernier lieu le troisième groupe, qui est le groupe de ceux qui n’ont ni la réalité du Savoir, ni même sa forme.

Le premier groupe est constitué de ceux qui ont accueilli l’Eau du Savoir Prophétique dans les terres de leurs âmes fertiles. C’est ainsi que ce qui paraissait de ces terres devint verdoyant, sous l’effet des sens profonds des Noms divins, et c’est ensuite sur ces terres qu’apparurent les fruits du Savoir. Cette terre est celle que le Bien-Aimé ﷺ compara à la terre qui fit pousser des pâturages et des herbes en abondance. Du fait qu’ils accueillirent l’Eau de la Révélation issue du monde de l’inconnaissable (ghayb), dans les terres de leurs cœurs fertiles, ils saisirent d’un Savoir véritable la descente des Noms dans les Attributs divins, la descente des Attributs dans les Actes, et la descente des Actes dans les Lois… de sorte qu’ils s’adressèrent aux gens, à la mesure de leur entendement, et révélèrent en chaque instant ce qui serait bénéfique aux serviteurs. Et il fut dit à leur sujet :

Fais tes ablutions à l’Eau du ghayb, si tu détiens un Secret
à défaut de quoi, fais l’ablution sèche (tayammum) à l’aide de terre ou de pierre

Prends comme Imâm celui dont tu es toi-même l’Imâm
et accomplis la prière du fajr au commencement du ‘asr (le temps)

Telle est la prière des Savants
par leur Seigneur : si tu es des leurs, alors asperge la terre ferme de l’océan.

Le second groupe est celui de ceux qui ont pris et absorbé l’Eau, et qui en ont donné. Tel est l’état des gens de l’exotérisme, et tout particulièrement en cette époque qui est la nôtre. La personne mémorise, puis restitue ce qu’elle a mémorisé, sans plus. Le Bien-Aimé ﷺ les a décrits en nous disant que par eux, le Vrai a fait profiter aux gens de leur sauvegarde de l’Eau du ghayb, sans toutefois qu’ils n’en tirent de bénéfice pour leurs propres âmes, au-delà de la récompense qui accompagne cette mémorisation. La récompense leur revient donc, mais le bénéfice de leur mémorisation et de leur sauvegarde de l’Eau du ghayb revient quant à lui aux gens du premier groupe, car ce sont eux qui purent boire, abreuver et cultiver.

Quant au troisième groupe, il est celui de ceux qui sont arides, ceux qui ni ne retiennent l’Eau, ni ne font pousser de pâturages. Ou dit autrement, ceux qui n’ont ni la récompense de la mémorisation, ni le Secret préservant les Lumières intérieures, qu’Allâh nous en préserve.

Le Savoir (al-‘ilm) ne consiste donc pas en le fait que tu mémorises, puis fasses montre de ta mémorisation, auquel cas tu ne serais rien de plus qu’un automate restituant un enregistrement. Le Savoir est au contraire le fait que tu comprennes le verset ou le signe divin (ayah), puis que tu le mettes en pratiques, et qu’enfin tu cueilles le fruit de tes œuvres : un fruit qui se présentera à toi sous forme de Lumières, par lesquelles tu comprendras la Volonté d’Allâh. C’est alors que tu seras en mesure d’accorder à chacun son juste droit, observant la plus parfaite des bienséances, le meilleur des états spirituels, et la meilleure des gustations.


[1] Sourate Fâtir, verset 28.
[2] il s’agit du terme majoritairement employé dans ce chapitre et traduit par « crainte ».
[3] Al-bahr al-madîd, pages 120/121.
[4] Sourate al-Noûr, verset 35.
[5] Sourate al-Ahzâb, versets 45/46.
[6] Sahîh Muslim, Hadîth n°2282.