Au nom d’Allah, le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux.
Prières et paix sur notre maître Mohamed, sa famille et tous ses compagnons.
Dans une assise du 8 du mois de Muharram 1443 (18 août 2021), notre Shaykh Sidi Mohamed Faouzi al-Karkari (qs) a abordé la question des dons que reçoit la zawiya, et la manière dont ils sont dépensés. Il a souhaité éclaircir ce sujet afin d’éviter à certains disciples d’être troublés par cette question.
Premièrement, l’interdiction de consommer les aumônes ne concerne que le Shaykh et sa famille. Elle ne concerne en aucun cas les disciples. Bien au contraire, conformément à la sunna, les fuqara qui vivent en dépouillement à la zawiya sont les plus en droit de profiter des dons et de la zakat. Nous avons l’exemple du compagnon Salman al-Farisi – qu’Allah l’agrée – qui fit don de toutes ses richesses au Prophète ﷺ afin des vérifier les diverses descriptions qui lui était attribués par les gens du Livre et autres annonces de sa venue (c’est-à-dire le fait qu’il ﷺ ne mange pas de l’aumône, mais accepte les cadeaux).
Qu’en fit-il ? Il ﷺ les distribua à tous ses compagnons dans le besoin. C’est sur cet exemple que les dons sont redistribués à la zawiya.
Le disciple et même toute personne qui aime la Voie d’Allah doit ôter de son esprit toute confusion et tout trouble quant à cette question. L’argent donné à la zawiya n’est pas interdit aux disciples. Il n’est pas non plus interdit à la construction, à la rénovation, ou à tout ce qui pourrait permettre le bon fonctionnement du lieu d’habitation de tous les fuqara qu’est la zawiya. A l’époque des compagnons, les dons que percevait le Prophète ﷺ n’étaient pas utilisés uniquement pour nourrir les pauvres. Ils étaient aussi dépensés dans la construction des édifices musulmans et dans des projets d’intérêt public.
Deuxièmement, le disciple doit savoir que dans le cheminement, l’avare n’atteint pas la hadra (présence divine).
Allah ﷻ dit dans la sourate at-Tawba : « Allah a acheté aux croyants leurs personnes et leurs biens. […] »
L’argent en arabe « al-mal » provient du mot « malayan » qui signifie « tendre vers quelque chose ». Autrement dit, l’argent est l’une des chaînes qui emprisonne le disciple et l’empêche d’avancer dans le cheminement spirituel. Il lui incombe donc de s’en défaire en soumettant sa volonté à celle de son Shaykh. C’est ce que fit Sayduna Moussa – que la paix soit sur lui – lorsqu’il abandonna sa volonté à son maître spirituel, Sayduna al-Khidr – que paix soit sur lui –. Il ne comprenait pas les sagesses cachées derrière les actions d’al-Khidr et pourtant Moussa accepta qu’il détruise le bateau de gens innocents et il accepta bien pire encore.
Notre Shaykh nous raconte souvent l’histoire d’un saint très riche, qui ne manquait de rien sur le plan matériel. Il vivait dans sa zawiya dans laquelle il éduquait spirituellement ses disciples. Il était connu pour une habitude étrange : lorsqu’un aspirant venait à sa rencontre dans l’espoir de trouver Allah ﷻ, le saint lui demandait de l’argent en échange de la bay’a (engagement). Un jour, il fut interrogé :
- « Pourquoi demandes-tu de l’argent alors que tu es déjà riche ? »
- Il répondit : « les gens viennent à moi pour me demander la chose la plus précieuse qui existe : la connaissance d’Allah. En contrepartie, je demande donc la chose la plus précieuse pour l’Homme, c’est-à-dire son argent et sa vie d’ici-bas. »
Troisièmement, la zakat est l’un des piliers de l’Islam renvoyant à la purification (tazkiya). Par la purification de ses biens, le disciple se purifie lui-même de la souillure qui touche son cœur. C’est ce que font tous les cheminants et c’est ce que faisaient les compagnons. A titre d’exemple, Sayduna Abu Bakr as-Siddiq – qu’Allah l’agrée – décida de faire don de tous ses biens. Il ne lui restait absolument rien, pas même des couverts pour manger. On lui demanda ce qu’il avait laissé pour lui et sa famille et il répondit « Allah et son Messager ﷺ ». En parallèle, Sayduna ‘Umar – qu’Allah l’agrée – n’avait donné quant à lui « que » la moitié de sa richesse. Bien que cela soit un geste immense, il n’est toutefois pas comparable à celui de Sayduna Abu Bakr as-Siddiq, et cela montre que le cœur de Sayduna ‘Umar n’était pas encore pleinement libérer de toutes ses attaches à ce monde illusoire puisqu’il garda la moitié de ses biens. Médite sur cette histoire de ces deux grands compagnons et n’oublie pas que le logement symbolise le cœur du croyant avant d’être un bâtiment fait de murs et de toiture !
Quatrièmement, il est toujours très étonnant de voir le disciple rester à la zawiya pendant une semaine, un mois ou une année durant laquelle il a mangé à sa faim, il a dormi en sécurité, il s’est purifié avec l’eau de la zawiya, mais au moment de donner une aumône ou verser la zakat, il s’en détourne aussi facilement. C’est pourtant dans cette même zawiya que ce disciple a pu voir pour la toute première fois la Lumière d’Allah ﷻ et c’est dans cet endroit qu’il eut le privilège de goûter à la connaissance divine.
En revanche, lorsqu’il s’agit d’œuvres caritatives, tu le vois se précipiter pour donner aux mosquées ou à des associations. Bien entendu, il sera récompensé pour cela et il en récoltera les hassanates. En revanche, il faut savoir qu’il n’y aura aucune évolution dans le cheminement et ce n’est pas cela qui mènera le disciple à la présence ou à la connaissance divine.
Dans la sourate at-Tawba, au verset 103, Allah ﷻ dit : « Prélève de leurs biens une aumône par laquelle tu les purifies et les bénis, et prie pour eux. Ta prière est une quiétude pour eux. Et Allah est Audient et Omniscient. »
Il y a une différence majeure entre le fait de donner une aumône au musulman et le fait de la donner au Prophète ﷺ par l’intermédiaire de son héritier et Wali d’Allah. Pour la première, le cheminant récoltera des hassanates. Pour la seconde, le cheminant verra descendre dans son cœur la quiétude (Sakina qui vient du terme sakan – habité – et qui renvoie au cœur). Ce sera pour lui un moyen de purification de sa nafs qui lui permettra de renforcer le lien entre son cœur et le cœur du Prophète ﷺ.
Cinquièmement, Le Prophète a dit : « Nous, Ahlul Bayt, il nous est interdit de recevoir une aumône. » (Muslim).
Le Shaykh et sa famille ne récupèrent pas un seul dirham des dons envoyés à la zawiya, à moins que ce soit un cadeau qui leur soit personnellement destiné. Le Shaykh vit exclusivement de l’argent qu’il gagne à travers la roqya. C’est là son principal métier. Il ne touche pas un centime de la zakat ou des aumônes envoyées à la zawiya. Si l’objectif du Wali était de s’enrichir, il ne passerait pas son temps au milieu des disciples à répondre à leurs demandes et à les éduquer spirituellement. Avec les sciences qui sont les siennes, il pourrait gagner beaucoup d’argent très facilement si c’était vraiment ce qu’il recherchait de ce bas monde.
Sixièmement, le Wali est l’unique serviteur d’Allah ﷻ. A son sujet, Allah ﷻ interrogera l’ensemble des fils d’Adam au jour du jugement conformément à un hadith qudsi authentique rapporté par l’Imam Muslim :
Le Prophète ﷺ a dit : Allah dira le jour de la Résurrection :
« Ô fils d’Adam, J’étais malade et tu ne M’as pas rendu visite ! » L’homme répondra : « Seigneur, comment aurais-je pu Te rendre visite alors que Tu es le Maître des mondes ? » – « Ne savais-tu pas que Mon serviteur untel (‘abdi fulan) était malade ? Pourtant, tu ne lui as pas rendu visite. Si tu l’avais fait, tu M’aurais trouvé auprès de lui. »
« Ô fils d’Adam, Je t’ai demandé de Me nourrir et tu ne l’as pas fait ! » – « Seigneur, répondra l’homme, comment aurais-je pu Te nourrir alors que Tu es le Maître des mondes ? » – « Ne savais-tu pas que mon serviteur untel (‘abdi fulan) t’avait demandé de le nourrir ? Et, pourtant, tu ne l’as pas fait. Si tu l’avais nourri, tu aurais trouvé la récompense de ton action auprès de Moi. »
« Ô fils d’Adam, Je t’ai demandé à boire et tu ne M’as pas abreuvé ! » – « Seigneur, comment aurais-je pu Te donner à boire alors que Tu es le Maître des mondes ? » – « Mon serviteur untel (‘abdi fulan) t’a demandé à boire et tu as refusé de l’abreuver. Ne savais-tu pas que si tu l’avais abreuvé, tu aurais trouvé la récompense de ton action auprès de Moi ? »
Le serviteur « untel » mentionné dans ce hadith n’est pas n’importe qui. Non, il s’agit d’un serviteur bien particulier, celui qui s’est établi à la station de la servitude, c’est-à-dire le Wali d’Allah, son vicaire qui fait cheminer les fuqara jusqu’à les faire parvenir à Allah ﷻ. Par ailleurs, on s’aperçoit que dans ce récit le Seigneur ne parle pas seulement aux gens de la bay’a et du compagnonnage. Non, il mentionne explicitement TOUS les fils d’Adam, y compris ceux qui n’ont pas pris l’engagement avec le Wali.
Dès lors, si tous les fils d’Adam seront interrogés sur cela, que dire du croyant qui aura reconnu en lui les signes de la Wilaya ? Que dire de celui qui aura vu le secret divin et la présence prophétique se manifester à lui, jusqu’à le pousser à prendre la bay’a. Nous sommes donc bien plus en droit d’exiger de lui l’aumône, parce qu’il fait partie des gens qui ont vu et qui connaissent ce « ‘abdi fulan ». Si simplement regarder le visage du Wali équivaut à soixante-dix ans d’adorations, comprends que dépenser un dirham dans la hadra vaut mieux qu’une vie entière de dépenses en dehors du cercle de sa hadra.
Septièmement, Allah ﷻ dit : « Dans des maisons [des mosquées] qu’Allah a permis (idhn) que l’on élève, et où Son Nom est invoqué ; Le glorifient en elles matin et après-midi, des hommes que ni le négoce, ni le troc ne distraient de l’invocation d’Allah. […] » (Sourate an-Nur, verset 36-37).
Le Wali permet (idhn) au croyant la pratique du dhikr du Nom Suprême « Allah » qui le mène à l’élévation spirituelle, sans que les distractions de ce bas monde ne puissent le toucher. C’est par ce idhn sacré qu’Allah ﷻ enrichit le croyant dans ce monde comme dans l’autre. C’est donc par la porte de la présence que représente le Wali, que le croyant doit passer s’il espère voir son commerce réussir et son cheminement se raccourcir.
Huitièmement, le disciple doit savoir qu’il existe différents degrés dans les dépenses qu’on réalise pour la Voie d’Allah. Plus on dépense de ses biens pour Allah ﷻ, plus on s’élève et on se rapproche de l’exemple de Sayduna Abu Bakr. Ainsi, celui qui dépense seulement la zakat obtiendra la science de la certitude (‘ilm al-yaqin) et ne dépassera pas la station d’al-islam. Celui qui dépense un cinquième de son argent dans la Voie, atteindra l’œil de la certitude (‘ayn al-yaqin) qui renvoie à la station d’al-iman. Enfin celui qui dépense la totalité de ses biens atteindra la station d’al-ihsan et obtiendra la certitude véritable (haqq al-yaqin).
Que le disciple sache que la porte de la Vérité (al-Haqq) se trouve auprès de l’élite parmi les descendants de la famille du Prophète ﷺ. En ce sens, les compagnons donnaient l’ensemble de leurs biens et disaient au Prophète ﷺ : « O Messager d’Allah ﷺ, que nous donnez-vous de votre argent ? » Autrement dit, ils avaient la certitude que leur propre argent était en réalité l’argent du Prophète ﷺ.