بسم الله الرحمن الرحيم
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و على اله و اصحابه أجمعين

« Les regards (absâr) ne peuvent Le saisir, cependant qu’Il saisit tous les regards »

Allâh –subhânahu wa ta’ala- dit : « Les regards (absâr) ne peuvent Le saisir, cependant qu’Il saisit tous les regards. Et Il est le Doux, le Parfaitement Connaisseur. Certes, il vous est parvenu des preuves évidentes (basa’ir), de la part de votre Seigneur. Donc, quiconque voit clair (yabsur), c’est en sa faveur; et quiconque reste aveugle, c’est à son détriment, et je ne suis nullement chargé de votre sauvegarde. » [s6.v103/104].

L’Imâm Ismâ’îl Haqqiy (radiAllâhu ‘anhu) dit dans son tafsîr du même verset : « « les regards ne peuvent Le saisir » désigne ici le regard physique attribué aux yeux, de par le fait que le mot « idrâk » d’une chose (traduit ici par le mot saisir) désigne en arabe le fait d’atteindre cette chose et de la cerner complètement. Le verset veut donc dire que les regards ne L’atteignent ni ne Le cernent. « cependant qu’Il saisit tous les regards » c’est-à-dire que Lui les cerne tous. […] Sache que le mot « idrâk / saisir » ne désigne pas la vision, parce que le mot idrâk est limité à l’entité de la chose et à son cernement, tandis que la vision par les yeux peut être une vision sans idrâk. Ainsi, il est correct de dire de quelqu’un qu’il a vu une chose sans toutefois l’avoir saisi, car le fait de saisir est bien plus précis que le simple fait de voir… or la négation de ce qui est profond et précis n’implique pas systématiquement la négation de ce qui est plus général. Il est donc possible de voir Allâh sans pour autant Le cerner ni Le saisir, de même qu’Il peut être Connu dans ce bas monde sans que la Connaissance (ma’rifa) de la créature ne Le cerne… Ou en d’autre termes, la Connaissance d’Allâh –ta’ala- est possible au travers du lien se nouant entre Lui et la création, ceci dans les limites de la disposition à recevoir de l’homme, car ce qui provient de Lui surpasse la capacité humaine… C’est bien là la finalité à laquelle se heurte le cheminant, débouchant fatalement dans l’impasse de l’ébahissement et de la confusion (face à la Réalité divine), et qu’il reconnait son incapacité à atteindre Sa Connaissance parfaite, admettant : « Nous ne sommes pas parvenus à Te Connaître réellement. « L’Essence d’Allâh –ta’ala- de par son dépouillement de toute origine ou lien, et de tout ajout… ne peut être cernée. C’est en ce sens que : « On demanda au Prophète (sallAllâhu ‘alayhi wa sallam) : « As-tu vu ton Seigneur ?  » Il répondit : « Une Lumière… comment pourrais-je Le voir ? » ». Dans le sens où cette Lumière absolument dépouillée (de toute origine ou lien, de tout ajout…) ne peut pas être vue, et c’est ainsi que le Vrai l’a indiqué dans Son Livre lorsqu’Il évoqua Sa Lumière selon ses degrés apparents : « Allâh est la Lumière des cieux et de la terre. Sa Lumière est semblable à une niche où se trouve une lampe. La lampe est dans un (récipient de) cristal et celui-ci ressemble à un astre de grand éclat ; son combustible vient d’un arbre béni : un olivier ni oriental ni occidental dont l’huile semble éclairer sans même que le feu la touche. » Et lorsqu’Il acheva de parler des différents degrés de ces exemples de manifestation, Il dit : « Lumière sur lumière » L’une de ces deux lumières désigne la dernière des lueurs, c’est-à-dire la Lumière Absolue et Originelle… et c’est pour cette raison qu’Il compléta le verset en disant : « Allâh guide vers Sa Lumière qui Il veut ».

Ce qui veut dire que Allâh guide qui Il veut par Sa Lumière visible par l’œil dans ce qui est manifeste, une lumière qui flue vers Sa Lumière Absolue et Unique que la vision ne peut saisir, étant donné le dépouillement de l’Essence de toute apparence, de toute origine et de tout ajout. Quant à ce qui est manifeste, depuis derrière un voile à la mesure d’un certain degré, le fait de saisir (idrâk) est en revanche possible, et il fut dit sous forme de vers de poésie :

Tu ne peux fixer le soleil éclatant
mais si un fin nuage vient l’habiller alors tu le pourras

Et le Prophète (sallAllâhu ‘alayhi wa sallam) donna justement un exemple allant dans ce sens en décrivant Sa vision dans l’au-delà et en la comparant à la vision du soleil et de la lune. Il nous a ainsi informés que les gens du Paradis verront leur Seigneur, sans qu’aucun voile ne les sépare, excepté le voile de l’Orgueil (kibriya’) sur Sa Face, dans des jardins verdoyants… Il nous informa (sallAllâhu ‘alayhi wa sallam) au sujet de la persistance (baqa’) du degré de voile, qui est le degré de manifestation. […] Quant à Son Orgueil (kibriya’), il s’agit en fait de Son voile dont Il vêtit les intellects des Savants par Allâh »

[Tafsîr Roûh al-Bayân fi Tafsîr al-Qor’ân, Isma’îl Haqqiy (mort en 1127 h)]

L’Imâm Ahmad ibn ‘Ajîba (radiAllâhu ‘anhu) dit quant à lui, toujours au sujet du même verset : « Les regards (absâr) ne peuvent Le saisir, cependant qu’Il saisit tous les regards. Et Il est le Doux, le Parfaitement Connaisseur » [s6.v104].

« Sache que le Vrai –jalla jalâluh- Se manifeste à Ses serviteurs au travers des apparences que prennent les mondes, mais par Sa Sagesse et Son Omnipotence, Il Se manifesta entre les opposés deux-à-deux : entre les Lumières et les Secrets, entre le concret et l’allégorique, entre la manifestation de la Seigneurie et la matrice de la servitude… Les Lumières sont ce qui apparut des choses matérielles, tandis que les Secrets sont ce qui demeura caché des sens profonds. Le concret est ce qui est saisi par le regard physique (des yeux), tandis que le sens profond (ma’nâ) désigne ce qui est saisi par la vision intérieure (Basîra). Le monde physique et concret est le voile des sens profonds, et donc celui à qui Allâh aura ouvert la vision intérieure verra la Lumière de Sa Basîra couvrir celle de sa vision concrète (des yeux). Il saisira à ce moment-là le sens profond se trouvant derrière chaque chose matérielle, et alors il pourra considérer que ces choses matérielles ne le voilent plus des sens profonds… mais qu’au contraire, dans son cas, le monde physique devient anéanti, et il ne voit alors plus rien d’autre que le sens profond. C’est la raison pour laquelle, lorsqu’on questionna al-Hallâj au sujet de la ma’rifa, il répondit : « Il s’agit de l’annihilation du monde physique dans le monde des sens profonds« . Par conséquent, dès lors que le serviteur voit sa propre vision concrète anéantie par la vision des sens profonds, son existence disparaît du même coup dans celle de Celui qu’il adore, et il contemple (chahada) alors le Vrai, par le Vrai. Les Connaissant (al-‘arifoûn), lorsqu’ils sont anéantis par rapport à eux-mêmes, ne voient plus leurs regards se poser sur autre que les sens profonds : ils contemplent donc le Vrai avec leurs propres yeux.

C’est en ce sens qu’un poète parmi eux dit :

Depuis que j’ai Connu la divinité, je n’ai vu autre (que Lui)
et de même, la notion d’autre (que Lui) est chez nous interdite

Et de même, on retrouve dans les Hikam : « Nul existant en dehors de Lui ne te voile du Vrai, puisque rien n’Existe en dehors de Lui, mais c’est plutôt l’illusion d’une existence avec Son Existence qui te voile ». « les regards ne peuvent Le saisir » c’est-à-dire les regards qui entrent en existence, contrairement aux regards incréés, dans le degré de l’annihilation (maqâm al-fanâ’) qui eux le peuvent. al-Hakîm at-Tirmidhiy dit : « Saisir entièrement le hâ’ est impossible, mais la manifestation d’un Attribut d’entre ses Attributs peut avoir lieu. » ‘AbdalMalik dit dans son commentaire de Machâriq al-Saghâniy, rapportant la parole de Shouyoukh : « Allâh Se manifeste (yatajallâ) aux gens du Paradis, et Il leur fait voir Son Essence dans le voile de Ses Attributs, car ils n’ont pas la capacité de contempler Son Essence sans un degré de voilement à la mesure des degrés des Attributs. » Al-Wartajabiy dit : « La théophanie (tajalliy) n’est pas une manifestation de l’Essence en sa totalité, pas plus qu’elle ne l’est des Attributs en leur totalité. Elle est plutôt à la mesure de la capacité de la créature. Il est impossible de dire que l’Amour tout entier se manifeste à un seul atome, mais plutôt qu’il se manifeste à lui selon sa capacité. » Au Jour du Jugement, les gens diffèrent entre eux en termes de délectation dans la contemplation, selon le degré de Connaissance du divin qu’ils avaient atteint dans le bas-monde. Et de même, cette contemplation est alors prolongée selon leur degré d’immersion ici-bas. Celui qui se trouvera donc voilé ici-bas et ne verra que le monde physique, sera dans le même état au Jour du Jugement, excepté à un moment déterminé où le Vrai lui fera perdre la notion de son existence physique, et il contemplera alors les sens profonds des Secrets de la Seigneurie au travers des manifestations des Lumières de Ses Attributs. Quant à celui qui se trouvera ici-bas ouvert à Lui par la contemplation des sens profonds, sera dans ce même état au Jour du Jugement, et la Vision (mouchâhada) du Vrai ne lui sera pas ôtée un seul instant.

L’Imâm al-Ghazâliy dit dans Kitâb al-Arba’în : « Si le voile est levé après la mort, la Connaissance (ma’rifa) elle-même deviendra alors Vision (mouchâhada). »

Et je dis (ibn ‘Ajîba), en explication de ces mots : Cela même que la personne Connut ici-bas en terme de théophanies, deviendra dans l’au-delà Vision (mouchâhada) ; parce qu’alors le sens profond surpassera le concret (physique), contrairement à ce bas-monde où ce qui est concret et physique prévaut… excepté pour celui qui aura su s’en détacher et l’aura annihilé. Puis il dit : « et chacun recevra alors selon le degré de Connaissance (ma’rifa) atteint.  » C’est pour cette raison que la délectation des Awliya d’Allâh –ta’ala- dans la contemplation diffère de la délectation de ceux n’ayant pas cette Connaissance, d’où le fait que Allâh –ta’ala- Se manifestera à Abou Bakr d’une manière particulière, et aux gens du commun (d’une autre manière). [1]

L’Imâm al-Ghazâliy dit dans Ihiya ‘Oloûm ad-Dîn : « Etant donné que la Connaissance du divin diffère en plusieurs degrés, la théophanie est, de même, de plusieurs degrés différents. » Puis il mentionna le Hadîth de la théophanie de Abou Bakr précité, et dit : « Il ne convient donc pas de penser que cette délectation dans la vision et la contemplation soit réservée à Abou Bakr uniquement, sans que personne d’entre ceux qui se trouvent à un degré moindre que le sien ne puisse jamais y goûter… Bien au contraire, cela est possible, mais à un degré moindre : le dixième du dixième (= le centième) du degré de Abou Bakr est accessible, si la Connaissance du divin de la personne atteint le centième de la Connaissance de Abou Bakr. Par le fait donc qu’il ait été privilégié d’entre les hommes pour porter en son cœur un Secret unique, il fut de même privilégié par la (vision d’une) manifestation unique. »

L’Imâm al-Ghazâliy dit aussi : « Le Vrai Se manifeste au serviteur, d’une théophanie dévoilant ce en quoi Il Se manifeste, en ajoutant ce que le serviteur aura Connu de Lui… à la manière du dévoilement du reflet d’un miroir, en y ajoutant une part d’imagination, c’est-à-dire les détails physiques apportés par celui qui le décrivait. Puis il dit : Et ceci est une vision (mouchâhada), et la théophanie est ce qu’on appelle ro’ya. Puis il dit : La Connaissance du divin atteinte ici-bas est complétée (sans évolution de degré) dans l’au-delà, jusqu’à atteindre le dévoilement et la clarté les plus totaux, et que ceci prenne la forme d’une mouchâhada. Et il n’y a, entre la mouchâhada dans l’au-delà et Celui qui en fait l’objet en ce bas-monde, aucune différence, excepté en degré de clareté du dévoilement (qui est plus élevé dans l’au-delà). Il dit aussi : L’océan de la Connaissance (ma’rifa) n’a pas de rivage, en cerner la Majesté est impossible, et plus la Connaissance s’étend et se renforce, plus la félicité dans l’au-delà augmente et devient importante. De même que plus les graines sont nombreuses et de bonne qualité, plus les épis sont nombreux et de bonne qualité… Il n’est possible de récolter ces graines que dans ce bas-monde, elles ne peuvent être semées que dans la terre fertile du cœur, et la récolte de ceci ne se fait en aucun cas dans l’au-delà.»

Notre Shaykh, Mawlay al-‘Arbiy (radiAllâhu ‘anhu) dit : « Au contraire, les Hommes véritables sont ceux qui sèment et récoltent aujourd’hui même. » Et dans le tafsîr de al-Iqlîchiy : « Guide-nous sur le chemin droit » [s1.v6]. « Tant que le serviteur se trouve dans ce bas-monde, la guidée n’a pas de fin… jusqu’à ce qu’il se trouve auprès de al-Jabbâr et contemple alors Sa Face : son degré de félicité sera à la mesure de sa guidée ici-bas sur son propre chemin droit. » Al-Hakîm at-Tirmidhiy dit dans Nawâdir al-Oussoûl, au sujet du Hadîth : « « Il y a parmi les gens du Paradis un groupe de personnes qui contemplent Allâh –‘azza wa jall- le matin et le soir ». Et il fut rapporté que Mu’âdh a dit : « Un groupe d’entre les gens du Paradis contemplera Allâh –‘azza wa jall-, le Seigneur ne leur sera pas caché, ni voilé. » Puis il dit : « Et il fut dit que le Ridwân est le dernier des degrés que puissent atteindre les gens du Paradis : il n’y a pas de chose plus grande, et tout serviteur d’entre les gens du Paradis recevra du Ridwân une part à la mesure du sacrifice de son égo fait pour Allâh dans ce bas-monde. » »

[1] Hadîth : Le Prophète (sallAllâhu ‘alayhi wa sallam) a dit : « Ô Abou Bakr ! Allâh t’a octroyé le plus grand Ridwân. » Ce dernier demanda: « Qu’est-ce que le plus grand Ridwân ? » Il répondit : « Allâh Se manifeste à la création d’une manière générale, mais à toi Il Se manifeste d’une manière particulière. » [Kanz al-‘Ummâl]

Allâh –subhânahu wa ta’ala- dit : « Certes, il vous est parvenu des preuves évidentes (basa’ir), de la part de votre Seigneur. Donc, quiconque voit clair (yabsur), c’est en sa faveur; et quiconque reste aveugle, c’est à son détriment, et je ne suis nullement chargé de votre sauvegarde. » [s6.v104].

Sidi Ahmad ibn ‘Ajîba dit dans son tafsîr : « « basa’ir » est le pluriel du mot basîra, qui désigne l’œil du cœur, de même que al-basar désigne les yeux de la tête. Al-basîra est ce qui permet de voir les sens profonds et incréés, tandis que al-basar est ce qui permet de voir les choses concrètes et physiques qui entrent en existence. Al-basîra est comparable à al-basar, dans le sens où la moindre chose tombant en elle entrave la vision de la personne. Toutes deux se répartissent en plusieurs catégories :

  • La première est le cas de l’aveugle, qu’Allâh nous en préserve. C’est là un cas qui ruine les gens en ruinant leur croyance, à l’image de la basîra des mécréants et de ceux qui s’en approchent. Il est par ailleurs des basîra simplement malades, ne percevant pas les rayons du Soleil du Tawhîd privilégié : il s’agit là de la basîra des gens de l’insouciance.
  • Dans un degré plus élevé, la maladie de la basîra peut être moindre, du moins suffisamment pour pouvoir percevoir les rayons (de ce Soleil) et saisir la Lumière de la Proximité divine : il s’agit là de la basîra des serviteurs entièrement dévoués d’entre les adorateurs, les ascètes et les plus élevés d’entre les pieux.
  • Un autre degré de la basîra est lorsque celle-ci se trouve proche de la guérison et du meilleur état qui soit, elle est alors ouverte et ébahie par ce qu’elle reçoit de Lumière : il s’agit là de la basîra des mourid cheminant d’entre les gens du fanâ’.
  • Et un autre degré de la basîra est celui d’une basîra forte et saine, ne présentant aucune anomalie. Elle a développé une aptitude à contempler les Lumières et s’est solidement ancrée dans l’océan des Secrets. Il s’agit de la basîra des Connaissant par Allâh réalisés dans la station de la persistance (maqâm al-baqâ’).

L’auteur des Hikam se réfère à trois de ces degrés de la basîra en disant : « Les rayons lumineux de la basîra te font voir la Proximité entre toi et le Vrai, l’œil de la basîra te fait voir ton inexistence vis-à-vis de Son Être, et la réalité de la basîra te fait voir l’Existence du Vrai, sans que tu ne sois ni existent, ni néant : Allâh était alors que rien n’était avec Lui, et Il est à présent tel qu’Il a toujours été. » »

[Tafsîr al-Bahr al-Madîd fî Tafsîr al-Qor’ân al-Majîd, ibn ‘Ajîba (mort en 1224 h)]

Sidi ibn ‘Arabi (qaddas Allâhu sirrahu) dit :

« « les regards ne peuvent Le saisir «  veut dire que les regards ne peuvent Le cerner, car il est al-Latîf (le Doux), et Sa Majesté ne permet pas cela… Comment le pourraient-ils, alors qu’ils ne sont pas même capables de cerner leur propre nafs ? « cependant qu’Il saisit tous les regards » de par le fait qu’Il cerne toute chose par la Douceur. « il vous est parvenu des preuves évidentes » des signes clairs, c’est-à-dire des manifestations de Ses Attributs sous forme d’images, qui sont les Lumières de la vision des cœurs. La Basîra est une Lumière par laquelle le cœur voit, de la même manière que al-basar désigne une lumière (comme la lumière du jour) par laquelle les yeux voient. « quiconque voit clair » quiconque devient doté de Basîra, alors les bénéfices de cette dernière et la guidée (qui l’accompagne) sont en sa faveur, quant à celui qui en sera voilé, le tort et le méfait causé par son voilement ne revient à personne d’autre que lui-même.»

[Tafsîr al-Qor’ân – ibn ‘Arabi]

Le Shaykh Ruzbehân al-Baqiliy (radiAllâhu ‘anhu) dit dans ‘Arâ’is al-Bayân :

« « Les regards ne peuvent Le saisir, cependant qu’Il saisit tous les regards », Les regards ne peuvent Le saisir, excepté par l’intermédiaire de regards prenant source dans Ses Regards transcendants : comment ce qui entre en existence pourrait-il Le saisir (par soi-même), alors que l’existence de l’univers face à la manifestation de la suprématie de Sa Grandeur n’est plus que néant ? « Cependant qu’Il saisit tous les regards », par Son Regard incréé et exempt de toute comparabilité avec ce qui entre en existence, en habillant les créatures des Lumières de Ses Attributs afin qu’elles Le voient, (par Lui et) non pas par elles-mêmes, car la Douceur de Son Essence est impénétrable pour Ses créatures.

Il est ensuite fait référence à l’élévation absolue de Sa Science et au fait qu’Il cerne absolument toute chose, existant comme inexistant, par Sa Parole : « et Il est le Doux, le Parfaitement Connaisseur ». La Douceur de Sa Beauté ravit les cœurs, par le Désir, vers les lueurs de Sa Noble Face, en toute reconnaissance de leur impuissance et de leur incapacité à Lui résister. Les esprits se noient dans les océans de Son Amour, les Secrets s’annihilent dans la décision irrévocable de Son hâ’, les cœurs s’extasient dans les batailles des désirs (appelant à Lui), et les intellects dépérissent, face à l’impénétrabilité de Sa Science, dans le désert de Sa Divinité. […]

Abou Sa’îd al-Khudriy (radiAllâhu ‘anhu) rapporte que le Prophète (sallAllâhu ‘alayhi wa sallam) a dit au sujet du verset « Les regards ne peuvent Le saisir » : « Si l’ensemble des djinn, des hommes, des démons et des anges, depuis leur création jusqu’à leur retour au néant, s’étaient alignés en un même rang, ils n’auraient en aucun cas pu cerner Allâh ». al-Juneyd dit, concernant le Nom al-Latîf (le Doux) mentionné à la fin de ce verset : al-Latîf est Celui qui a illuminé ton cœur par la guidée, qui a alimenté ton corps et  qui t’a accordé la Sainteté dans la souffrance et l’épreuve. Il te préserve tant que tu te consumes dans le feu, et Il te fait entrer dans le sanctuaire du Paradis. Il fut dit aussi que al-Latîf est Celui qui, lorsque tu L’implores, te répond. Si tu Le recherches, Il t’accueille. Si tu L’Aimes, Il te rapproche. Si tu Lui obéis, Il te suffit. Si tu Lui désobéis, Il te pardonne. Si tu te détournes de Lui, Il t’appelle. Et si tu te diriges vers Lui, Il te guide. »

[‘Ara’is al-Bayân fi Haqâ’iq al-Qor’ân, al-Baqaliy]

Le Shaykh Najm ud-Dîn al-Kubrâ (radiAllâhu ‘anhu) dit dans son tafsîr :

« « Les regards ne peuvent Le saisir, cependant qu’Il saisit tous les regards. Et Il est le Doux, le Parfaitement Connaisseur ». Allâh –ta’ala- est ici décrit par l’incomparabilité (tanzîh) de Son Essence et de Ses Attributs, car « Les regards ne peuvent Le saisir » c’est-à-dire que ce qui est créé et entre en existence ne peut L’atteindre, ni les regards exotériques, ni les regards ésotériques. Il est totalement exempt du fait de pouvoir être atteint et saisi par n’importe quelle créature que ce soit. « cependant qu’Il saisit tous les regards » en Se manifestant à eux. Ainsi, Il y anéanti (la considération) de toute créature et devient ainsi la vue par laquelle on voit. Ceci se fait par la manifestation aux regards exotériques (des yeux) comme ésotériques (du cœur) de la Lumière de la Seigneurie (Rouboubiya). « Et Il est le Latîf, le Parfaitement Connaisseur » : Il est Latîf (dans le sens trop subtil) pour que ce qui entre en existence puisse Le saisir et Le cerner, ou pour que des créatures puissent L’atteindre. Et Il est le Parfaitement Connaisseur de qui mérite de Le voir Se manifester à lui en saisissant et en cernant (entièrement) son regard, de sorte qu’il soit préparé à la Vision. Et parmi les preuves de Sa Douceur, le fait qu’Il ait fait apparaitre toute chose existante par Sa Bonté, sans qu’aucune de ces choses ne méritent d’être.

Puis, le Vrai –ta’ala- nous indique le chemin de la reconnaissance et dit : « Certes, il vous est parvenu des preuves évidentes (basa’ir), de la part de votre Seigneur. Donc, quiconque voit clair (yabsur), c’est en sa faveur ; et quiconque reste aveugle, c’est à son détriment, et je ne suis nullement chargé de votre sauvegarde. » : Allâh –ta’ala- a pourvu chacun de Ses serviteur d’une vision intérieure (basîra), qui permet au cœur de percevoir les réalités placées dans les mondes de l’inconnu (ghayb) ainsi que les expressions de la perfection divine réservées aux cœurs de ceux qui excellent, de la même manière qu’il a accordé le sens de la vue à l’homme afin qu’il perçoive et puisse voir avec ses yeux ce qui lui fut accordé en terme de nourriture, boisson, vêtements et femmes. « Certes, il vous est parvenu des preuves évidentes (basa’ir), de la part de votre Seigneur. Donc, quiconque voit clair (yabsur), c’est en sa faveur » il s’agit là de celui qui percevra par sa vision intérieure ce qui est noble et élevé dans l’au-delà ; le regard désignant ici la réalisation de l’état de Proximité divine, ainsi que ce que Allâh a réservé (à ces gens), qui sont ce que nul œil n’a vu ni nulle oreille entendu, et qui jamais n’a effleuré l’esprit de personne. Il (l’homme) travaille et œuvre donc dans le but d’acquérir ces privilèges, il se dirige vers Allâh et chemine vers Lui, il renonce définitivement à ce bas-monde en se détournant de ses attraits et des passions charnelles dont il recèle… et ainsi accède à la félicité et à l’honneur pour lui-même. « Et quiconque reste aveugle, c’est à son détriment » Il s’agit ici de celui qui reste aveugle et ne perçoit pas d’une vision intérieure les manifestations de la perfection divine, qui demeure dans la considération de ce bas-monde et ses attraits, jouissant de ses délices et se délectant de passions animales. Celui-là demeure dans l’aveuglement intérieur « Et ce ne sont pas les yeux qui s’aveuglent, mais plutôt les cœurs dans les poitrines » [s22.v46] »

[Tafsîr at-Tawilat an-Najmiya fi at-tafsîr al-ichariy as-Soufiy]

VOIR AUSSI :

Peut-on voir Allâh?