بسم الله الرحمن الرحيم
و الصلاة و السلام على أشرف المرسلين
و على اله و اصحابه أجمعين

Ô mourid, sache que du fait que selon la considération du cercle réunissant toute possibilité, l’existence revient en exclusivité à l’Unique, de même l’emplacement du privilège et la faveur divine est Unique au sein du monde des hommes (nâssoûte), également appelé monde des silhouettes apparentes (‘âlam al-achbâh), ou encore le monde du Moulk, qui correspond au monde des six directions sensorielles (devant, derrière, gauche, droite, haut et bas).

Celui donc qui est emprisonné par ses perceptions physiques, limité par sa propre essence corporelle, celui-là fait partie du monde des silhouettes illusoires. Quant à celui dont le cœur a été transpercé et dans lequel est apparu une ouverture vers le monde des Lumières ; celui qui aura été débarrassé du point du ghaïn ( غ ) cachant son œil (‘aïn : ع ) ; celui à qui se seront manifestés les Lunes de la gnose et les Soleils de subtilité divine, et qui aura ainsi vu le monde tout entier comme étant Lumière : celui-là se trouve dans le monde spirituel.

Chacun des différents mondes partagent un seul et même emplacement, sans superposition, ni échelonnement, ni considération du « haut » physique. Plutôt, la notion de hauteur et d’élévation est à comprendre ici au sens figuré : l’emplacement est unique, ce sont les manières de le percevoir qui diffèrent.
Prenons l’exemple de trois hommes au marché : le premier voit des gens, des fruits et des légumes. Le second voit la Lumière d’Allâh où qu’il se tourne. Quant au troisième, il s’est totalement anéanti dans les Lumières et a réalisé la station du fana total et absolu. Celui donc qui considère ces trois hommes les verra dans le même endroit, au même moment… alors que c’est un monde qui sépare le premier du second, et encore un monde qui sépare le second du troisième.

La Siyâha des silhouettes apparentes est donc le cheminement réalisé au sein du cercle réunissant toute possibilité, accompagné de méditation sur la grandeur de la création, afin que s’attendrisse le qâf ( ق ) du cœur ( قلب ) que le mourid pourra alors pénétrer, jusqu’à accéder à ce qui s’y trouve de plus profond.

Cette Siyâha du monde des hommes, ou Siyâha exotérique, a donc pour objectif l’obtention de la preuve et du raisonnement indiquant la grandeur du Tout-Puissant, ainsi que la privation du cœur de toute tendance à reposer sur les piliers de la nafs et des plaisirs de cette dernière, énumérés dans le verset suivant :
« Dis: « Si vos pères, vos enfants, vos frères, vos épouses, vos clans, les biens que vous gagnez, le négoce dont vous craignez le déclin et les demeures qui vous sont agréables, vous sont plus chers qu’Allâh, Son messager et la lutte dans le sentier d’Allâh, alors attendez qu’Allâh fasse venir Son ordre. Et Allâh ne guide pas les gens pervers ». » [1].

La partie du verset sur laquelle nous nous arrêterons ici est « les demeures qui vous sont agréables ». Le mot demeure en arabe (maskan) que l’on retrouve dans ce verset provient du mot « soukoûn » qui renvoie à l’apaisement ou à l’inaction. Cet état de « soukoûn » est, chez le commun des mortels, un manque de bienséance de par le fait qu’ils en perdent la Lumière de la contemplation (mouchâhada), qui constitue la monture indispensable à la Siyâha spirituelle, ou ésotérique. C’est la raison pour laquelle le mouvement est une obligation pour eux, afin qu’ils se rapprochent de leur Seigneur : « Celui qui vient à moi en marchant, Je viens à lui en courant. » Il est donc obligatoire pour eux de marcher et d’accomplir la pérégrination au travers des terres du monde des hommes, afin que se mette en mouvement le mécanisme qui puisera les flux du désir ardent abreuvant leurs for-intérieurs, et que parvienne l’eau de l’Amour passionnel au plus profond de leurs cœurs.

Ibn ‘Ajîba (qaddas Allâhu sirrahu) dit dans al-Bahr al-Madîd:

« La Hijra de toute terre d’insouciance (ghafla) est obligatoire, de même qu’est obligatoire la séparation des proches et amis qui n’encouragent pas le serviteur à avancer vers Allâh. Le mourid doit donc faire la Hijra et quitter le pays dans lequel il ne retrouve pas son cœur, dans lequel il ne trouve absolument personne qui puisse l’aider dans sa relation avec son Seigneur… et nous n’avons jamais vu personne devenir un Saint en demeurant dans son pays, hormis de rares exceptions. Et du fait qu’il (sallAllâhu ‘alayhi wa sallam) fit la Hijra depuis son pays natal vers Médine et que par cela la Religion fut appuyée du soutien divin, la Hijra en devint la Sunna des Saints. Et tu ne verras aucun Saint reconnu et suivi, excepté à l’extérieur de son pays natal. (Le mourid) devra également s’éloigner de toute personne détournant son attention à l’instar des parents, des enfants, des épouses et des proches. Idem pour les biens matériels ainsi que les commerces qui occupent son cœur à défaut d’Allâh, ceci après avoir octroyé à ses enfants les droits qui leur reviennent conformément à la Charî’a. Le disciple intelligent est celui qui parvient à réunir la Haqîqa et la Charî’a ; qu’il ne délaisse pas ceux qui sont pauvres et dans le besoin, et qu’il ne néglige pas le droit de toute personne dépendant de lui, que ce soit son épouse ou quelqu’un d’autre. Qu’il évoque Allâh malgré tout, qu’il soit avec eux physiquement mais qu’il s’en éloigne par le cœur. Et s’il ne parvient pas à cela et s’il désire trouver le remède pour son cœur, qu’il fasse preuve de bienfaisance vis-à-vis de son épouse et charge quelqu’un de le remplacer dans le fait de subvenir aux besoins de ses enfants, ce jusqu’à ce que son cœur soit renforcé et demeure fermement avec son Seigneur. » [2].

Quant à celui qui n’a aucune part dans la Siyâha spirituelle, qu’il redouble d’efforts dans la Siyâha des silhouettes jusqu’à maîtriser les différents degrés du cheminement que sont la faim, la patience, l’ascèse, le souci et l’attention pour son prochain, supporter maux et préjudices à son encontre, ainsi que la remise totale en Allâh. Sans cela, sa Siyâha ne sera rien d’autre que le déplacement d’un univers vers un autre, de même qu’il fut dit dans les Hikam :

« Ne pars pas d’un monde créé vers un autre, ne sois pas à l’image de l’âne actionnant une roue : il marche, mais ne fait jamais que revenir continuellement au point d’où il est parti. Plutôt pars et quitte les mondes créés pour le Créateur.

« et c’est à ton Seigneur que se trouve le véritable aboutissement » [s53.v43].
Médite avec attention ces paroles du Prophète (sallAllâhu ‘alayhi wa sallam) : « Quiconque fait la Hijra en vue d’Allâh et de Son Prophète, sa Hijra est effectivement pour vers Allâh et Son Prophète. Et quiconque fait la Hijra en vue d’un avantage mondain le trouvera, ou encore en vue d’une femme qu’il épouserait, alors sa Hijra est selon ce vers quoi elle a été faite. »
Comprends donc sa parole (sallAllâhu ‘alayhi wa sallam) et médite au sens de cela, si toutefois tu es doté de compréhension !

Ibn ‘Ajîba dit dans son commentaire des Hikam :

« Celui qui part d’un monde créé vers un autre est un voyageur qui partirait d’autre que Lui et qui irait vers la matérialisation de sa demande d’autre que Lui. L’état d’une telle personne serait tel que celui de l’ascète ayant coupé tout lien avec ce bas-monde et qui s’en serait remis entièrement à Allâh, demandant en cela l’aisance physique et la facilité dans ses affaires mondaines, en vertu du Hadîth qui dit :
« Quiconque se coupe de tout pour Allâh, Allâh pourvoit à ses besoins et à sa subsistance de là où il ne l’attend pas. »
Et dans un autre Hadîth :
« Quiconque place toute son intention dans l’au-delà, Allâh facilite son affaire, place sa richesse dans son cœur, et fait venir à lui le bas-monde rampant à ses pieds. »

Quant à celui qui renonce à ce bas-monde en recherchant par là l’estime, l’honneur et la distinction auprès de la création, ou celui qui y renonce dans le but de recevoir en retour des prodiges et autres dons incroyables, ou encore dans le but d’être récompensé par les châteaux et les femmes du Paradis… tout ceci relève de l’état de celui qui part d’un monde créé vers un autre, et qui de ce fait est à l’image de l’âne actionnant une roue pour moudre le grain : il marche jour et nuit sans jamais bouger de son emplacement, car le point qu’il laisse demeure éternellement celui vers lequel il se dirige.

Par conséquent, celui qui n’aspire qu’au contentement de sa nafs partage l’état de l’âne qui actionne la roue. Il ne bouge pas de son emplacement et s’imagine qu’au contraire il a parcouru une longue distance vers l’objet de sa demande… alors qu’en réalité il n’a jamais fait que se fatiguer et régresser.

Le Shaykh Abou al-Hassan (radiAllâhu ‘anhu) dit:

« Tiens toi auprès d’une Porte unique sans espérer que les portes s’ouvrent à toi, et elles s’ouvriront à toi ; et soumets-toi à un Maître unique sans espérer que se soumettent à toi Ses esclaves, et ils se soumettront à toi. »

« Et il n’est pas une chose dont Nous ne détenions les réserves »[s15.v21]

Ô Mourid, il faut donc que tu relèves ton aspiration vers le Souverain Suprême, et que tu partes de ta vision des mondes créés vers Sa contemplation, ou que tu partes de ta croyance en Lui par la preuve et l’argumentation logique, vers Sa contemplation et Sa vision concrète : il s’agit là du But ultime : « et c’est à ton Seigneur que se trouve le véritable aboutissement » [s53.v43].

Ne délaisse pas un monde créé pour un autre en délaissant une part des plaisirs de ta nafs et en demandant en retour la récompense de l’au-delà, auquel cas tu serais à l’image de cet âne actionnant la roue qui ne fait que laisser une chose pour finalement retrouver la même. La comparaison de cette personne à un âne est une indication forte de sa bêtise et de l’étroitesse de sa compréhension, car s’il avait compris par Allâh, il aurait délaissé ses passions et ses désirs illusoires dans l’intention d’accéder à la Présence de son Seigneur. Ô Mourid, ne pars donc pas d’un monde créé vers un autre monde créé, comme toi, mais plutôt délaisse le monde créé pour Celui qui le créa, car c’est à ton Seigneur que se trouve le véritable aboutissement.
Et aller vers ton Seigneur exigera de toi trois choses :

La première est que tu y consacre absolument toute ton attention, à l’exclusion de tout autre que Lui, de sorte qu’Il Se penche sur ton cœur et n’y trouve aucun être aimé si ce n’est Lui.

La seconde est que tu reviennes à Lui en t’acquittant de toutes tes obligations et en fuyant tous les plaisirs de ta nafs.

La troisième est que sans cesse tu t’en remettes à Lui, que tu recherches Son aide, et que tu places ton entière confiance en Lui, que tu te résignes totalement à ce qu’Il décide de t’octroyer.

Le Shaykh Abou al-Hassan (radiAllâhu ‘anhu) dit : « Il est quatre choses qui, lorsqu’elles se trouvent en quelqu’un, les créatures ont besoin de lui tandis qu’il peut se passer de toute chose : l’Amour d’Allâh, la richesse par Allâh, la véridicité et la certitude : la véridicité dans l’adoration, et la certitude dans les Lois de la Seigneurie du fait que nul jugement n’est meilleur que celui d’Allâh pour les gens qui ont cette certitude. » » [3].


[1] Sourate at-Tawba, verset 24.
[2] Al-Bahr al-Madîd fi Tafsîr al-Qor’ân al-Majîd.
[3] Iqâdh al-himam fi charh al-Hikam


Source : Les fondements de la Tariqa Karkariya, Shaykh Mohamed Faouzi Al Karkari, éditions Les 7 Lectures.