بسم الله الرحمن الرحيم
و الصلاة و السلام على أشرف المرسلين
و على اله و اصحابه أجمعين

La nécessité de se débarrasser
des quatre directions

Nous avions vu précédemment que l’espace se trouvant entre le Alif al-Mouqaddar et le lâm al-ma’rifa, n’était autre que l’âme de l’homme lui-même, avec d’un côté sa partie noble (l’esprit) et de l’autre sa partie vile (l’égo). Puis, selon la présentation de la première Lecture du Nom Allâh, nous avions vu que l’aspirant à la réalisation du Tawhîd devait aller au-delà des limites de son âme créée et donc limitée, et traverser cet espace afin d’accéder au Alif at-Tawhîd. Cependant, il ne faut pas s’imaginer qu’il s’agisse d’une traversée en considération des quatre directions (devant, derrière, à gauche, à droite), avec donc un point de départ et un point d’arrivée.

Comme nous l’avions précisé, l’étude de cet espace n’est autre que l’étude des deux côtés de ce qui fut caché en l’âme humaine : sa partie noble et sa partie vile. Dans un premier temps, l’aspirant découvre la noblesse et l’honneur que le Créateur lui a accordé en le dotant d’un esprit et en lui assignant une Lumière par laquelle Il le renforce et l’élève : « Est-ce que celui qui était mort et à qui Nous avons rendu la Vie et lui avons assigné une Lumière… » [s6.v122]. Puis, le cheminant découvre les caractères vils les plus profondément enfouis en lui-même. C’est après cela que son être tout entier lui est effacé, si bien qu’il se trouve totalement perdu, ne percevant plus aucune direction, comme s’il se trouvait abandonné seul au milieu de l’océan, recherchant désespérément une bouée ou quelque chose à quoi s’agripper… mais en vain.

Lorsque le disciple expérimente cela, il se trouve dépouillé de toute caractéristique de la nafs, et durant toute la durée de son état, Iblis n’a plus aucune emprise sur lui, comme nous le prouve l’étude du verset Coranique suivant : « Puisque Tu m’as mis en erreur, dit [Iblis], je m’assoirai pour eux sur Ton droit chemin, puis je les assaillirai de devant, de derrière, de leur droite et de leur gauche. Et, pour la plupart, Tu ne les trouveras pas reconnaissants » » [s7.v16/1].

Lorsque Iblis dit qu’il s’interposera contre les hommes sur le droit chemin, il s’agit bien du chemin du juste milieu, le chemin de l’équilibre parfait entre la chari’a et la Haqiqa, la Voie Blanche (al-mahajjat al-bayda), tel que décrit précédemment. Puis, il annonce qu’il influera sur les hommes et les déstabilisera via les quatre directions du plan horizontal (devant, derrière, droite et gauche), qui sont quatre directions renvoyant à la nafs humaine.
En ce sens, le Shaykh Najm ud-Dîn Kubrâ (quddisa sirruh) dit dans son exégèse de ce verset :
« « puis je les assaillirai de devant, de derrière, de leur droite et de leur gauche » : en cela se trouve une indication du fait que Shaytan ne peut atteindre l’homme que s’il demeure en lui les caractéristiques de la nafs humaine, lesquelles sont liées aux directions susmentionnées. Et sache que dans chacune de ces directions, la nafs a différents types de penchants, en fonction des caractéristiques qui lui sont propres. C’est la raison pour laquelle chaque auteur d’exégèse Coranique a interprété différemment le sens de ces directions, chacun selon la considération qu’il avait de cette nafs à laquelle accédait Shaytan. Il fut ainsi dit (ceci est une interprétation parmi tant d’autres) que : « je les assaillirai de devant » se réfère à la jalousie (hassad), dans le sens : j’embellirai pour eux la jalousie éprouvée envers les plus grands savants et mashaykh de leur temps, afin qu’ils critiquent leurs états, leurs paroles et leurs œuvres, et qu’on les renie. Ils égareront ainsi les gens et leur transmettront leurs propres déviances, manifestées par leur volonté de s’attribuer le bien (le suivi de la Vérité) à eux-mêmes… de même qu’il en fut pour Iblis avec Adam (‘alayhi s-salâm). « et de derrière » c’est-à-dire par la porte des péchés : je les inciterai à s’en prendre aux grands Compagnons, leurs suiveurs, les savants et les grands mashaykh du passé… ils diront du mal d’eux, les détesteront et inventeront des calomnies à leur encontre.
« et de leur droite » c’est-à-dire en m’attaquant au plan relationnel : je détruirai les liens qu’il y a entre eux, en tant que frères dans la religion, et je susciterai parmi eux la haine et l’inimitié. « et de leur gauche » c’est-à-dire en les poussant à délaisser le bon conseil entre membres d’une famille, proches et amis : je les inciterai donc à ce qu’ils se trahissent les uns les autres, à ce qu’ils délaissent le fait d’ordonner le bien et d’interdire le mal, à ce qu’ils complotent et rusent contre le commun des musulmans et dans leurs relations et échanges quotidiens. »
[at-Tawilat an-Najmiya fi t-Tafsir al-ichariy as-Soufiy]

Nous voyons donc que tant que le cheminant tiendra en considération l’une de ces quatre directions, il sera exposé aux incitations et insufflations de Shaytan, par l’intermédiaire des penchants de sa propre âme. Et si l’homme a trop facilement tendance à se débarrasser de la responsabilité de ses manquements en les attribuant à l’œuvre de Shaytân… qu’il n’oublie pas que Iblîs lui-même avait non seulement une profonde connaissance de la Haqiqa, mais surtout que le seul Shaytân qui l’ait fait chuter ne fut nulle autre que sa propre nafs ! Par conséquent, ô mourid, tant que tu es concerné par la considération des directions, sache que tu demeures sous l’emprise du Shaytân de ta propre nafs.
Cela dit, pourquoi Iblîs ne mentionne dans le verset précité que quatre directions par lesquelles il intervient sur l’homme… pourquoi les directions du haut et du bas ne figurent-elles pas dans ce verset ?

Le Shaykh al-Chibiliy (quddisa sirruh) explique ceci en disant :
« Il n’a pas dit « et d’au dessus, et d’en dessous d’eux  » car la direction du dessus correspond à l’emplacement depuis lequel al-Malik (le Souverain) regarde les cœurs des Connaissants (‘arifin). Quant à la direction du dessous, elle correspond à la direction de l’emplacement des prosternés, l’emplacement de Son regard et l’emplacement de leurs adorations… et Shaytân n’a en ceci aucune part ni aucune voie d’accès. »
[Haqa’iq at-tafsîr – as-Sulamiy]

Et le Shaykh Ruzbehan al-Baqiliy (quddisa sirruh) ajoute dans son tafsir :
« Il n’a pas mentionné la direction du dessus ni du dessous, parce que le dessous correspond à l’emplacement de l’annihilation (fana) dans le degré de la servitude (‘ouboudiya), par une prosternation qui implique la Proximité. Cette prosternation est une contemplation (chouhoûd), or l’état de contemplation relève du privilège de la protection du Vrai, et nul autre que le Vrai ne serait en mesure de s’y immiscer. Quant à la direction du dessus, elle correspond à l’emplacement du dévoilement et de la vision (mouchâhada), ainsi qu’à la Volonté divine de manifestations théophaniques et des Souffles de Sa Face prééternelle. Si l’ensemble des diables (shayatin) se trouvant entre les degrés les plus élevés jusqu’aux plus bas s’en approchaient de l’équivalent du chas d’une aiguille, ils seraient brûlés et anéantis en moins d’un rien de temps. (litt : « en moins d’une lamha » [1]) »
[‘Ara’is al-Bayan fi tafsir al-Qor’an]

[1] Le mot lamha est une des multiples appellations chez les soufis de l’Etoile de Lumière que contemple le cheminant… Dans cette phrase, ceci veut donc dire que les diables auraient été brûlés par la Lumière divine en moins de temps qu’il n’en faut à la Lamha pour se manifester dans toute sa splendeur. 

Par conséquent, nous comprenons que le champ d’action de Iblis sur l’Homme se limite au champ de perception de la nafs et de ses penchants, c’est-à-dire le plan horizontal. Quant au plan vertical (directions du haut et du bas, c’est-à-dire le Alif), il relève de l’Esprit en exclusivité, raison pour laquelle Iblis n’y a absolument aucun pouvoir d’influence. Il se trouve une indication de ceci dans le verset Coranique suivant : « S’ils avaient appliqué la Thora et l’Évangile et ce qui est descendu sur eux de la part de leur Seigneur, ils auraient certainement joui de ce qui est au-dessus d’eux et de ce qui est sous leurs pieds. » [s5.v66].

Sayiduna Ruzbehan al-Baqilliy (radiAllâhu ‘anhu) explique dans son exégèse :
« Le Vrai –subhânah– donne ici une indication du fait que s’ils avaient mis en pratique ce qu’Il leur demandait (dans Ses Livres révélés), et s’ils n’avaient pas agi à l’image des gens qui suivent les penchants de leurs nafs… Les Lumières du malakoûte leur auraient été dévoilées, en même temps qu’ils se conformaient, par le cœur et par le corps, (au modèle voulu pour eux par le divin). Les Lumières du jabaroûte leur auraient ensuite été dévoilées dans leur prosternation, Lumières desquelles se seraient nourri leurs esprits ainsi que leurs intellects. »
[‘Ara’is al-Bayan fi tafsir al-Qor’an]