بسم الله الرحمن الرحيم
و الصلاة و السلام على أشرف المرسلين
و على اله و اصحابه أجمعين

L’Hypocrite dans la Voie accèdera à la contemplation, mais sans en atteindre la saveur

« Ils ressemblent à quelqu’un qui a allumé un feu ; puis quand le feu eut illuminé tout à l’entour, Allah fit disparaître leur Lumière et les abandonna dans les ténèbres où ils ne virent plus rien. » [1].

Le Vrai nous donne ici un exemple concret et limpide, décrivant celui qui suivra la Voie Soufie par suivi aveugle (taqlîd), non pas par intérêt réel d’accéder au But. C’est un exemple pour celui dont la branche aura produit des feuilles mais aucun fruit. Un exemple pour celui dont la Terre du corps se sera placée entre le Soleil de la Seigneurie et la Lune de la servitude, faisant naitre une éclipse… qu’Allâh nous préserve de cela.

Les Lumières de la Seigneurie n’ont pu se réfléchir sur la Lune de la servitude de cet individu, en raison de l’interposition de son entité argileuse entre l’Esprit et la nafs. La nafs Lunaire demeura donc dans la pénombre, privée du flux de Lumières de l’Esprit Solaire. L’hypocrisie est caractérisée par la non-conformité de ce qui est extériorisé avec ce qui se trouve réellement à l’intérieur de soi. La langue prend les devants sur le cœur, se présente sous un degré spirituel qu’il n’a pas atteint et parle d’une science qui le dépasse. Notre Messager ﷺ compara l’hypocrite qui lit le Coran à une plante méditerranéenne nommée myrte. Il dit : « L’exemple de l’hypocrite qui lit le Coran est à l’image du myrte : son odeur est bonne mais son goût est amer » [2].
Il en est donc ainsi de l’hypocrite : son extérieur est harmonieux, mais son intérieur est en ruine. Son état est l’état de celui qui aurait allumé un feu d’appel à Allâh, qui se serait mis à parler d’une spiritualité qui le dépasse et aurait ainsi mélangé ses prétentions aux sens profonds évoqués. Le Vrai le dépouilla alors de tout sens profond, et il ne demeura plus qu’avec ses fausses prétentions… car Il ne tolère pas qu’on Lui associe quoi que ce soit.

Allâh ﷻ dit : « Ils ressemblent à quelqu’un qui a allumé un feu ; puis quand le feu eut illuminé tout à l’entour, Allah fit disparaître leur Lumière et les abandonna dans les ténèbres où ils ne virent plus rien. »
Ils ressemblent à celui qui a fréquenté les mystiques (‘Arifin) et leur demanda du combustible de Lumières afin d’alimenter son Feu de la passion, dans l’unique but d’embellir son apparence. Or, le Feu de la passion ne peut bouillir qu’au plus profond des mystiques, et non pas en ce qu’ils extériorisent. Il alluma ainsi le feu du désir divin, dont le châtiment est un amour ardent dans un cœur qui erre dans le Malakoûte. Il réclama l’état dans lequel se trouve le serviteur submergé par le feu de l’Amour divin, et ce afin qu’apparaissent sur lui les caractéristiques des Soufis, mais il a oublié qu’on allume un feu pour la Lumière qu’il nous donne et non pas pour le feu en lui-même… Il ne put donc entrer en intimité avec ce dernier comme le fit le Kalîm (‘alayhi s-salâm) : « Lorsqu’il vit un feu, il dit à sa famille : « Restez ici ! Je vois un feu au loin, peut-être vous en apporterai-je un tison, ou trouverai-je auprès du feu de quoi me guider. » » [3]. Sayiduna Moussa (‘alayhi s-salâm) Aima le feu de l’Orgueil et de la Magnificence du Vrai, et ceci n’est que le fruit des dix années passées au service de sayidina Chu’ayb. Ainsi, lorsqu’il vit le feu, il fut aspiré vers lui, et sa vision perçante fut happée par la Beauté des Lumières des Attributs qui habillaient le feu. Il comprit alors le sens profond de la théophanie, par la bénédiction de l’intermédiaire (Wâsita) Chu’aybien, et il ôta ses sandales. Il sut que ce feu était le miroir de l’Attribut divin de Lumière, et que cet Attribut de Lumière était la manifestation de l’Arbre du Secret de la prééternité. « Puis lorsqu’il y parvint », animé d’une volonté sincère et d’un désir ardent, l’aboutissement de ceci fut : « C’est Moi, Allâh : point de divinité en dehors de Moi. » [4].

Quant à l’hypocrite, il ne put entrer dans cet état d’intimité avec le Feu divin, et ceci est dû au fait qu’il ne s’est pas préalablement mis au service de l’intermédiaire (Wâsita). Il a voulu les apparences de l’état spirituel sans le Savoir intérieur qui l’accompagne. Les hypocrites de la Voie ne considèrent ainsi que ce qui transparait des degrés spirituels, et leur statut est exactement le même que celui ce ceux qui les ont précédés. Allâh ﷻ dit à leur sujet : « Et ils disent : « Qu’est-ce donc que ce Messager qui mange de la nourriture et circule dans les marchés ? Que n’a-t-on fait descendre vers lui un ange qui eût été avertisseur en sa compagnie ? » » [5]. Pour cette raison, lorsqu’ils demandèrent eux aussi le Savoir des Soufis, ils n’en réclamèrent que les apparences dépourvues de réalités intérieures. Or, ce qui transparait de notre Savoir, c’est le feu, c’est-à-dire le feu des épreuves et de la purification, ce même feu par lequel on purifie l’or. Et lorsque le Bien-Aimé ﷺ fut questionné au sujet des hommes les plus éprouvés, il répondit :
« -Les Prophètes.
-Et ensuite ?
-Les Savants.
-Et ensuite ?
-Ensuite, les vertueux. Certains étaient éprouvés par la pauvreté au point qu’ils n’avaient qu’une seule tunique pour se vêtir, et ils étaient ensuite éprouvés par les poux jusqu’à ce qu’ils causent leur mort. Mais ils se réjouissaient davantage des épreuves que vous ne vous réjouissez des faveurs divines. » 
[6].

Notre Shaykh sidi al-‘Alawiy (qaddas Allâhu roûhahu) dit dans l’un de ses poèmes :

Délaisse la Science des Soufis, tu n’es pas des leurs
n’approche pas du bien de l’orphelin, c’est une immense calamité

La colère divine est énorme, et quelle faillite pour celui
qui remplaça les actes par de belles paroles

Les flots d’éloges et de belles paroles sont-ils d’aucune utilité ?
Les vains embellissements soignent-ils les maladies ?

Est-il une seule chose qui puisse bénéficier au malade, si ce n’est le remède ?
Et l’étranger pourrait-il retrouver le bonheur sans la présence des siens ?

En inventant de belles formules, tu racontes les mêmes choses qu’eux
il s’agit là de la substance produite par les guêpes, mais où est le miel d’abeille ?

Les paroles de l’hypocrite dans la Voie sont une substance mais qui n’est pas du miel véritable, car les abeilles que sont les Lumières de la foi n’ont pas élu domicile en eux. Celui dont le cœur n’est que ténèbres les unes sur les autres, comment ose-t-il parler de la Lumière des cieux et de la terre ? Ne peut connaitre la Lumière que ce qui est Lumière, et ne peut évoquer la Lumière du Vrai que celui dont le cœur est un Astre de grand éclat (Kawkab durriy). La Voie vers le Vrai ne se résume pas en de belles phrases que l’on prononce dans les Zawiya et au cours des réunions de dhikr. La Voie du Soufisme, c’est l’Amour et l’état de fascination et d’abandon dans les Lumières du Vrai. Et si tu n’as aucune Lumière, tu vis en réalité comme un mort. Notre Voie ne consiste pas en la composition de belles formules, car si l’éloquence était indicatrice de l’état spirituel de l’individu, alors Haroun aurait eu un degré supérieur à celui de Moussa (‘alayhima s-salâm) : « Haroun mon frère est plus éloquent que moi. Envoie-le donc avec moi comme auxiliaire, pour déclarer ma véracité : vraiment, je crains qu’ils me traitent de menteur. »[7].

Parmi les hypocrites dans la Voie, on compte également celui qui a vu que le Feu avait bel et bien éclairé tout autour de lui, puis qui s’imagina être parvenu à la réalisation complète et totale. Il renia alors l’intermédiaire (Wâsita) et s’écria : « C’est par une science que je possède que ceci m’est venu ! »[8]. Du fait même qu’il renia la Wâsita, le Vrai le renia. Les Lumières revinrent d’où elles étaient venues, et le Vrai l’abandonna dans les ténèbres de sa nafs et dans l’obscurité profonde de son hypocrisie : « Allah fit disparaître leur Lumière et les abandonna dans les ténèbres où ils ne virent plus rien. » [9].

Par conséquent, qu’Allâh vous fasse miséricorde : restez à la place qui vous a été assignée. Soyez satisfaits de ce que Allâh vous a octroyé, et si vous en voulez davantage, il vous faudra vous mettre au service des maîtres, car leur service est l’Amour même, leur proximité est un bienfait aussi bien pour la demeure d’ici-bas que celle de l’au-delà. Par leur évocation les grâces de miséricorde divine descendent. Vis avec eux en tant que serviteur, tu mourras en maître. Et surtout prends garde de ne surtout pas empiéter injustement sur les degrés spirituels des Soufis, car la différence entre le noir (kahl) et le kohl est énorme, comme le fait remarquer sayid al-‘âchiqîn :

C’est en connaissance de cause que je te recommande l’Amour, quant à celui que je vois
s’opposer à moi : choisis pour toi-même ce qu’il te plait

Si tu souhaites vivre heureux, alors meurs par Lui
en contemplation, et si tu n’y parviens pas c’est que l’Amour fou a ses privilégiés

Celui qui n’est pas mort dans Son Amour n’a pas non plus vécu par Lui
et sans le travail des abeilles, jamais nous n’en aurions obtenu le fruit

Dis au meurtrier de l’Amour : tu lui as donné ce qu’il mérite
et au prétendant : tu es loin, car le noir (kahl) n’a rien à voir avec le kohl !


[1] Sourate al-Baqarah, verset 17
[2] Sahîh Muslim, Hadîth n°1334
[3] Sourate Tâ-Hâ, verset 10
[4] Sourate Tâ-Hâ, verset 14
[5] Sourate al-Fourqân, verset 7
[6] al-Mustadrak ‘ala s-sahihayn, Hadîth n° 108
[7] Sourate al-Qasas, verset 34
[8] Sourate al-Qasas, verset 78
[9] Sourate al-Baqarah, verset 17